"Une troisième voie est possible": après les européennes, Glucksmann peut-il "réveiller" la gauche PS?
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Chez les socialistes, on refusait de se laisser tenter par le "triomphalisme" à quelques jours des élections européennes. "Il faudra être conscient du contexte, c’est-à-dire un score historique de l’extrême droite", prévenait la porte-parole Dyenaba Diop.
De là à vraiment faire la fine bouche? Sûrement pas, tant les roses reviennent de loin, deux ans seulement après une présidentielle catastrophique, avec à peine 1,74% pour Anne Hidalgo. La dernière campagne européenne s’était également soldée par un échec mais Raphaël Glucksmann, déjà tête de liste PS-Place Publique, s’en est parfaitement relevé.
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Mieux: ce dimanche 9 juin, il a récolté plus du double des suffrages obtenus en 2019 (6,19%) avec 14,2% des voix, selon notre estimation Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune - pas très loin de Valérie Hayer, la candidate Renaissance, qui recueille 14,9%. Des semaines que les sondages l’annoncent, mais le voilà définitivement troisième homme du scrutin et premier à gauche, devant l'insoumise Manon Aubry (9,4%) et l'écologiste Marie Toussaint (5,5%).
"Cette campagne c’est une campagne heureuse", salue un sénateur socialiste. "Le candidat a construit des choses. Les Français ont bien accroché. Il a gagné en densité entre 2019 et 2024."
Les soutiens de Raphaël Glucksmann mettent en avant son "bilan", citant notamment son travail "contre les ingérences étrangères" (il a présidé une commission spéciale au Parlement européen, NDLR), sa "lutte contre l'exploitation du peuple ouïghour", ou plus généralement pour "les droits humains".
Sans oublier de mentionner le contexte "éminemment géopolitique", marqué notamment par la guerre en Ukraine et celle à Gaza, qui a pu favoriser leur champion. "Il a marqué beaucoup de points avec sa sincérité, il croit ce qu'il dit", veut croire une députée PS.
"Il n’est pas rentré dans le piège de la nationalisation de l’élection ou dans le 'pour ou contre Macron', il a pris de la hauteur", vante le sénateur socialiste. "Il n’a pas joué en 'contre' mais il a développé son jeu, pour utiliser la métaphore du foot."
"Ni Jupiter, ni Robespierre"
Tout au long de la campagne, Raphaël Glucksmann s'est présenté comme le tenant d'une alternative au "faux match" entre la majorité et le Rassemblement national. Un positionnement dont la crédibilité s'est renforcée à mesure que l'écart avec Valérie Hayer - la candidate du camp présidentiel - se resserrait.
"On a montré qu'une troisième voie était possible", se réjouissait ce mercredi auprès de BFMTV Aurore Lalucq, également réélue eurodéputée et co-présidente de Place publique aux côtés de Raphaël Glucksmann.
Le croisement des courbes ne s'est jamais produit, ni dans les sondages, ni dans les urnes, mais son éventualité a eu le mérite de tenir en haleine ses supporters. Et de rassembler dans ses meetings à la fois d'anciens militants En marche, aujourd'hui déçus d'Emmanuel Macron, mais aussi des électeurs lassés de Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise, jugés trop outranciers par certains.
Raphaël Glucksmann n'est "ni Jupiter, ni Robespierre", ni "proche de Renaissance, ni dangereux bolchévique", a répété le candidat lors du grand oral organisé sur BFMTV, une semaine avant le scrutin.
La tête de liste PS-Place publique a entretenu la dynamique en réussissant à convaincre en même temps ces deux franges, notait déjà une note de la fondation Jean Jaurès publiée fin mars.
D'un côté "en se différenciant de La France insoumise sur les enjeux internationaux et européens" comme la guerre en Ukraine ou celle entre le Hamas et Israël, analyse son auteur, Antoine Bristielle. De l'autre "en se distinguant sur des enjeux plus nationaux", dont notamment "la crispation qu’a pu susciter le début de second quinquennat Macron, avec la réforme des retraites ou la loi immigration".
Après 2022, "la France insoumise était hyper hégémonique", analyse-t-il. "Et là, on a un nouvel espace de centre gauche dans lequel Raphaël Glucksmann s'est engouffré." "À gauche, il y a quelque chose qui s’est passé", notait un cadre PS dès la mi-avril. "Ce que porte Raphaël Glucksmann doit être reconsidéré comme un élément de la reconstruction de la gauche."
"La doublure de Macron" pour les insoumis
Forcément, ce déplacement des plaques tectoniques ne se pas fait dans la douceur. "C'est une campagne qui malheureusement n'est pas épargnée par la brutalité", réagissait un membre de l'équipe Glucksmann avant le scrutin. "Ça se termine avec beaucoup de fake news et de mensonges répétés. C’est assez pénible à vivre pour le candidat."
Les tensions entre insoumis et socialistes ont été nombreuses, avec en point d'orgue cette séquence du 1er mai, lorsque Raphaël Glucksmann a été empêché de rejoindre un cortège à Saint-Étienne (Loire), recevant au passage des jets de peinture.
L'intéressé avait mis en cause LFI, ce que les insoumis avaient contesté. "80% des tweets à la France insoumise sont consacrés à Raphaël Glucksmann et à la liste PS-Place publique", avait tempêté à cette occasion le candidat. "Ils ont choisi leur adversaire."
La séquence n'est qu'un point d'accroche parmi d'autres entre LFI et le PS, dont les positions semblent toujours plus s'éloigner depuis que la Nupes a volé en éclats en marge des attaques terroristes du Hamas contre Israël le 7 octobre. Chacun cherche à peser dans le rapport de force en vue de 2027.
Avant que les bons auspices européens ne se confirment pour les socialistes, les insoumis contestaient déjà par avance tout changement d'équilibre à gauche. "Si ça remettait tellement de choses en question, on n'aurait pas fait 6,5% aux dernières européennes avant de faire 22% à la présidentielle", voulait croire le député insoumis Antoine Léaument.
"Quelle différence entre Raphaël Glucksmann et Emmanuel Macron sur un certain nombre de sujets?", s'interrogeait un cadre LFI début avril. "Le PS a choisi quelqu'un à rebours de leurs positions. Comment défendre des candidats Nupes en 2022 et adouber Raphaël Glucksmann? C’est une rupture tactique et stratégique. Car Raphaël Glucksmann, c’est un message anti-Nupes."
"Glucksmann, il incarne le retour des barons socialistes", lâchait une élue LFI. "C'est la doublure de Macron. Il ne sera jamais l’avenir de la gauche."
Reste une différence fondamentale entre 2019 et 2024, dans la perspective de l'élection élyséenne, que rappelle Antoine Bristielle: "Cette fois, Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter. On pourrait observer une certaine déliquescence du camp présidentiel et de l'électorat centriste qui pourrait se retrouver derrière une personnalité de centre-gauche."
L'ombre de François Hollande
Mais laquelle? Le débat est ouvert au PS où les plaies, qui se sont refermées à l'occasion de cette campagne, pourraient réapparaître. La candidature de Raphaël Glucksmann donne du grain à moudre aux personnalités anti-Nupes (Carole Delga, Anne Hidalgo, François Hollande...) et à leurs soutiens. Lesquels voient en ce score une victoire idéologique, même si le Premier secrétaire Olivier Faure a largement pris ses distances avec Jean-Luc Mélenchon depuis l'implosion de la coalition des gauches.
En attendant le prochain congrès, la direction se défend. Le secrétaire général Pierre Jouvet, par ailleurs artisan de la Nupes, jugeait il y a quelques jours qu'une "analyse a posteriori d'un temps politique qui est différent n'a aucun sens". "La Nupes a été faite à un moment où Anne Hidalgo avait fait moins de 2% à la présidentielle", soulignait celui qui a été élu député européen ce dimanche.
Soucieux de garder une perspective d'union, les proches d'Olivier Faure prennent également le soin de ne pas mettre tous les insoumis dans le même sac. "Jean-Luc Mélenchon pas l’alpha et l’oméga de la gauche. Regardez les tensions qu’il peut avoir avec Raquel Garrido, François Ruffin, Clémentine Autain ou même Alexis Corbière", glissait Dyneba Diop, porte-parole du PS, il y a quelques jours.
Une ombre plane au-dessus de ces débats: celle de François Hollande qu'Olivier Faure a mis en garde face à la tentative d'un retour. "Jusqu’à la fin de sa vie il tentera s’il y a un trou de souris", commente l'un de ses anciens proches.
Même si Raphaël Glucksmann s'est tenu à distance de l'ancien président, ce dernier a participé jeudi à une réunion publique en soutien au candidat à Limoges (Haute-Vienne). L'occasion pour François Hollande d'appeler à une initiative "pour la reconstruction de la gauche", à laquelle il compte bien prendre "toute (sa) part".
Glucksmann? "Il ne va pas disparaître"
De quoi alimenter les doutes sur une éventuelle envie de briguer l'Élysée si l'opportunité se présentait. L'avenir de Raphaël Glucksmann pose également question.
"Je dois vous faire une confidence", a-t-il lancé fin mai, en meeting à Paris. "Je ne vais pas disparaître le 10 juin. (...) Le cap ne changera pas. Ce cap, j'en serai le garant et le gardien."
"Celui qui faisait la gueule, c'était Olivier Faure", glisse un membre du PS assis non loin du Premier secrétaire ce jour-là.
Mais Raphaël Glucksmann peut-il durablement "réveiller" la gauche, comme il a voulu "réveiller l'Europe" durant la campagne? "Dans les sondages, on est premier chez les cadres", tempérait un parlementaire PS en amont du scrutin. "On est les premiers chez les bourgeois mais on est avant-derniers chez les classes populaires. On ne peut pas être la gauche qui défend le peuple sans que le peuple soit avec nous. C’est un vote de bonne conscience."
"Je ne pense pas que le PS est réveillé", estimait cet élu. "Mais ce que démontre la campagne, c’est que y’a un espace qui existe." "Les gens veulent une gauche qui assume sa radicalité mais sans verser dans l’outrance", analyse de son côté un dirigeant du PS. Quoi qu'il en soit, Raphaël Glucksmann "ne va pas disparaître, sous quelle forme on verra, mais il ne disparaîtra pas, ça c’est sûr", promet Aurore Lalucq.
Après l'annonce par Emmanuel Macron de la dissolution de l'Assemblée nationale, Raphaël Glucksmann a déjà annoncé sa volonté de peser dans la campagne des législatives, sans préciser s'il sera candidat. "Nous sommes prêts à nous battre, à constituer une force de résistance à l'extrême droite", a-t-il déclaré. Rendez-vous pour les élections les prochains 30 juin et 7 juillet.