Travaux privatifs et parties communes : Quand l'accord de la copropriété est-il obligatoire?
Parce qu’elle est, par essence même, au cœur "d’enjeux de territoire", la copropriété est soumise à des injonctions paradoxales: préserver à la fois les intérêts collectifs du syndicat et les intérêts individuels de ses membres copropriétaires. De la confrontation entre ces intérêts antinomiques est née la loi du 10 juillet 1965 qui régit la copropriété des immeubles bâtis. Cette dernière prévoit, en son article 25 b, l'obligation de solliciter l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires pour "des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble".
Ces dispositions, souvent mal comprises, figurent parmi celles qui génèrent le plus de contentieux en copropriété. Vous voulez enfin tout comprendre sur les règles d’autorisation? On vous aide à démêler le vrai du faux en 5 questions.
1. Tous les travaux touchant aux parties communes doivent faire l’objet d’une autorisation
=> FAUX
Il s’agit d’une erreur fréquente. La loi est pourtant claire : seuls les travaux "affectant" les parties communes nécessitent une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires.
Qu’entend-on par "affecter les parties communes"? Il faut comprendre affecter soit leur solidité, soit leur intégrité ou consistance matérielle, soit les modalités de leur usage. En conséquence, sont dispensées d’autorisation les installations amovibles ou faciles à supprimer, autrement dit des menus travaux qui peuvent être retirés sans dégrader les parties communes ou moyennant de petites réparations.
À titre d’exemple, percer un trou minime sur un mur porteur (qui est une partie commune) n’est pas soumis, en principe, à autorisation. En revanche, la cour d’appel de Paris en jugé en 2018 que des branchements trop nombreux effectués sur une canalisation des eaux usées (partie commune de l’immeuble) l’avaient "affectée dans sa consistance matérielle et dans les modalités de son usage, notamment en terme de volume d’eau, de sorte qu’une autorisation de l’assemblée générale était nécessaire" (CA Paris, pôle 4 - ch. 2, 12 sept. 2018, n° 12/10223).
2. Tous les travaux touchant à l’aspect extérieur de l’immeuble doivent faire l’objet d’une autorisation
=> FAUX
Là encore, il s’agit d’une erreur courante. Seuls les travaux "affectant" l’aspect extérieur de l’immeuble nécessitent une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires.
Prenons 2 exemples :
- remplacement de persiennes par des volets roulants de même couleur : il a été jugé que de tels travaux ne nuisent pas à l'harmonie générale de l'immeuble, de sorte qu’ils sont dispensés d'autorisation ;
- installation d’un tuyau d’extraction de fumée de restaurants, cas classique de contentieux en copropriété. Un exemple vient d’être donné par la Cour d’appel de Toulouse: "La pose de ce tuyau d’extraction est par sa circonférence, son emplacement sur toute la hauteur de la façade depuis la devanture jusqu’au toit, à proximité de la porte d’entrée de l’immeuble, à peu de distance des fenêtres et du balcon de l’appartement du premier étage, avec une excroissance sur plusieurs dizaines de centimètres au-delà du toit, est de nature à nuire à l’esthétique de l’immeuble et à compromettre très sensiblement son aspect extérieur" (CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 1er mars 2021, n° 19/00228).
3. Je peux demander l’autorisation a posteriori
=> VRAI
Rappelons-le : la loi prévoit l'obligation, pour un copropriétaire, de solliciter l'autorisation de l'assemblée générale pour "des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci". Toutefois, cette disposition n’implique pas nécessairement une autorisation antérieure à l'exécution des travaux car l'assemblée générale (AG) peut accorder son autorisation aussi bien a priori qu'a posteriori, et sur ce point, de manière très pragmatique la jurisprudence de la Cour de cassation est constante depuis 1979.
Une autorisation a posteriori, désignée indifféremment par la jurisprudence "ratification", "régularisation" ou "validation", a pour effet de faire disparaître l'irrégularité de travaux engagés sans l'autorisation préalable (Civ. 3e, 20 nov. 1985, n° 84-16414). Le copropriétaire ne peut donc plus être inquiété après cette ratification.
4. Je n’ai pas demandé d’autorisation mais la copropriété a refusé de me poursuivre en justice. Cette décision vaut ratification implicite
=> VRAI
Depuis 2010, nombreuses sont les décisions de justice qui admettent le principe d’une ratification implicite. Autrement dit, les juges estiment que lorsque l’AG rejette la proposition qui lui est faite de faire sanctionner par la justice les travaux irréguliers réalisés par des copropriétaires, cette décision équivaut, de la part de l’assemblée, à une autorisation a posteriori des travaux litigieux. On parle alors de ratification implicite.
Attention toutefois ! Les juges peuvent estimer que si le refus de poursuites judiciaires est intervenu dans un contexte ambigu, par exemple dans l’attente d’une décision de justice ou si une médiation était en cours, ledit refus ne peut pas être interprété comme valant acceptation implicite des travaux.
5. J’ai demandé l’autorisation à la copropriété mais cette dernière a refusé. Je peux saisir la justice.
=> VRAI
Si vous avez demandé une autorisation pour des travaux et que celle-ci a été refusée, vous pouvez en effet saisir la justice. Les juges examineront in concreto si le veto de l’assemblée générale était abusif ou pas. Les motifs de refus étaient-ils valables ou non?
Si vos travaux :
- n’affectent ni les parties communes ni l’harmonie de l’immeuble ;
- ne lèsent aucun copropriétaire (pas d’atteinte à leurs droits / pas de trouble visuel, olfactif ou sonore par exemple) ;
- ne portent pas atteinte à la "destination" de l’immeuble, telle que prévue par le règlement de copropriété.
Alors il est probable que la justice donnera tort au syndicat des copropriétaires.
Attention, il faut que les 3 conditions soient réunies (on parle de conditions "cumulatives"). Prenons un exemple : vous avez demandé l’autorisation pour installer une climatisation. L’AG refuse. Vous saisissez la justice. Cette dernière peut estimer :
- que vos travaux ne nuisent pas à l’harmonie de l’immeuble (par exemple si l’immeuble comporte déjà beaucoup de climatisations similaires),
- qu’en revanche, compte tenu de sa localisation et de ses caractéristiques, la climatisation envisagée aurait créé un trouble sonore pour vos voisins.
En conséquence, la justice validera le refus de l’assemblée générale et vous ne pourrez pas installer votre climatisation.
Bruno Lehnisch, cadre juridique, et Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste en droit immobilier