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TOUT COMPRENDRE. Starliner: pourquoi le décollage de ce vaisseau est stratégique pour la Nasa et Boeing

Après deux reports, le premier décollage avec astronautes du vaisseau Starliner de Boeing a finalement eu lieu mercredi en fin d'après-midi.

Cette fois, c'est la bonne. Le vaisseau Starliner de Boeing a réussi son décollage, mercredi, depuis le pas de tir de Cap Canaveral, en Floride. Il emporte pour la première fois des astronautes vers la Station spatiale internationale, après deux reports, dont le dernier samedi à moins de quatre minutes du moment du lancement en raison d'un problème technique.

Lancé il y a maintenant dix ans, ce projet revêt des enjeux stratégiques aussi bien pour l'agence spatiale américaine que pour le constructeur américain.

• Que s'est-il passé samedi?

Les astronautes Butch Wilmore et Suni Williams, deux vétérans de l'espace, devaient être propulsés en orbite samedi par une fusée Atlas V du groupe ULA, depuis Cap Canaveral en Floride. Ils étaient déjà installés à bord de la capsule Starliner, au sommet de la fusée, quand le compte à rebours a été stoppé net par un ordinateur vérifiant automatiquement les derniers paramètres avant le décollage.

Les équipes sur place prévoient désormais d'accéder physiquement à cet ordinateur, situé dans un bâtiment proche du pas de tir, pour déterminer la cause exacte du problème, a expliqué durant une conférence de presse Tory Bruno, le patron de ULA. En attendant, la fusée a été placée dans une configuration sécurisée. Les deux astronautes, toujours souriants malgré l'annulation, ont été acheminés jusqu'à leur base non loin.

• Pourquoi la mission n'en est pas à son premier report?

L'annulation samedi est un nouveau contretemps pour cette mission, qui a déjà pris des années de retard. Le lundi 6 mai, les préparatifs s'étaient passés sans problème: la fusée avait été remplie de carburant, la météo était idéale et les astronautes étaient installés dans leur siège. Mais environ deux heures avant l'heure prévue de lancement, alors que les deux astronautes américains étaient installés dans la capsule, le décollage avait été annulé: une anomalie avait été identifiée sur une valve de la fusée Atlas V qui doit propulser la capsule Starliner en orbite. Des analyses supplémentaires avaient montré que la valve en question devait être remplacée, un travail qui nécessitait que la fusée soit ramenée dans son hangar.

La Nasa avait annoncé ensuite avoir détecté une "petite fuite d'hélium" sur le vaisseau. L'hélium est utilisé pour le système de propulsion du vaisseau, avait expliqué Boeing, qui avait précisé être en train de travailler à résoudre le problème avec la Nasa. Mais Boeing et la Nasa ont pris la décision de faire décoller le vaisseau sans la réparer, un haut responsable de l'agence arguant que le problème ne touchait qu'un seul des 28 propulseurs contrôlant le vaisseau et que certains vols avaient déjà été effectués avec des fuites similaires. De son côté, un représentant du constructeur américain avait indiqué que la réparation de cette fuite aurait été une opération "assez complexe" qui aurait nécessité de démonter le vaisseau.

En 2019 déjà, lors d'un premier test sans équipage, la capsule n'avait pas pu être placée sur la bonne trajectoire et était revenue sans atteindre l'ISS. Puis en 2021, alors que la fusée se trouvait sur le pas de tir pour retenter le vol, un problème de valves bloquées, cette fois sur la capsule, avait encore entraîné un report. Le vaisseau vide avait finalement réussi à atteindre l'ISS en mai 2022. Boeing avait ensuite espéré pouvoir réaliser son premier vol habité la même année. Mais des problèmes découverts tardivement, notamment sur les parachutes freinant la capsule lors de son retour dans l'atmosphère, ont de nouveau engendré des retards.

• En quoi l'historique et le contexte de cette mission sont délicats pour Boeing?

Seule une poignée de vaisseaux américains ont transporté des astronautes par le passé. La capsule Dragon de SpaceX a rejoint cette liste en 2020, succédant aux mythiques programmes Mercury, Gemini, Apollo et des navettes spatiales. Après l'arrêt de ces dernières en 2011, les astronautes de la Nasa ont dû voyager à bord des vaisseaux russes Soyouz.

C'est pour mettre fin à cette dépendance qu'en 2014, l'agence spatiale américaine a passé un contrat de 4,2 milliards de dollars avec Boeing et de 2,6 milliards avec SpaceX pour le développement de nouveaux vaisseaux, en visant alors une première mission en 2017. Malgré cette différence de financements, SpaceX a fini quatre ans avant son concurrent.

Allan Petre, ingénieur pour la Nasa – 18/04
Allan Petre, ingénieur pour la Nasa – 18/04
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Boeing joue donc gros sur cette mission test, qui doit lui permettre de démontrer que son vaisseau est sûr avant de commencer les missions régulières vers l'ISS. D'autant plus que ces récentes tentatives de premier vol spatial avec équipage surviennent alors que l'avionneur est sous le feu des projecteurs en raison de problèmes de production et de contrôle qualité.

Pour l'agence spatiale américaine, l'enjeu est aussi grand: avoir un deuxième véhicule en plus de celui de SpaceX pour transporter les astronautes américains doit lui permettre de mieux pouvoir gérer d'éventuelles situations d'urgence ou problèmes sur l'une des capsules. Une fois Starliner opérationnel, la Nasa souhaite alterner entre les vols de SpaceX et Boeing pour acheminer ses astronautes jusqu'à l'ISS. Après la mise à la retraite de l'ISS en 2030, les deux vaisseaux pourraient servir à acheminer des humains vers de futures stations spatiales privées.

Timothée Talbi avec AFP