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SNCF: la concurrence dans le train, "oui c'est possible" mais "il n'y aura pas 15 acteurs"

L'ouverture du marché français du ferroviaire n'est pas un long fleuve tranquille pour les candidats. Les échecs se multiplient mais d'autres projets prennent forme. Et la France n'est pas si en retard que ça. Explications.

Depuis quelques semaines, c'est l'effervescence sur le marché français du rail. De nouveaux concurrents à la SNCF émergent, d'autres renoncent, la mort dans l'âme. C'est le cas de la coopérative Railcoop ou encore de Midnight Trains qui ambitionnait d'attaquer le marché des trains de nuit avec une expérience audacieuse et moderne sur la mythique ligne Paris-Milan-Venise.

Quatre ans de travail partis en fumée faute de fonds suffisant. Adrien Aumont, un de ses fondateurs affiche une certaine amertume quant aux effets de l'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire.

"Les textes sont ouverts mais dans les faits, le marché du ferroviaire s’est surtout ouvert à lui-même. Ce marché a été organisé par les pouvoirs publics pour leurs propres opérateurs historiques, pas pour faire réellement émerger de nouveaux acteurs", regrette-t-il.
Et si la SNCF avait enfin une vraie concurrente sur le TGV?
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De nombreux obstacles, notamment financiers

"Chaque pays européen peut désormais voir débarquer ses voisins sur son territoire et débarquer à son tour sur le territoire de ses camarades. Ces opérateurs ont les armes (le matériel roulant) et les moyens (financement et organismes de garantie publics) pour se déployer. Nous le savions mais nous pensions qu’il était possible de changer les règles ou qu’elles allaient évoluer d’elles-mêmes. Mauvaise lecture de notre part: nous avons trop écouté les déclarations mais pas assez regardé les actes des pouvoirs publics français et européens", poursuit Adrien Aumont.

Dans les faits, il n'a pas totalement tort. À date, seuls deux opérateurs concurrencent la SNCF au niveau national. Ce sont en effet des filiales de grandes compagnies européennes qui dépensent sans compter pour s'imposer et disposent de trains: l'Italien Trenitalia et l'Espagnol Renfe. Sans encore atteindre la rentabilité.

Mais en réalité, en dehors de causes purement financières comme la frilosité des banques vis-à-vis du rail, la difficulté à lever des fonds dans un environnement de taux d'intérêt élevés ou la masse capitalistique à mobiliser pour pour pouvoir se lancer (achat des trains, assurances, péages...), la nature du projet est déterminante.

L'État doit-il subventionner la concurrence?

Prenons l'exemple du train de nuit. Si l'engouement médiatique est fort, sa rentabilité n'a jamais été démontrée.

"Il faut pouvoir convaincre sur la future rentabilité du projet, d'autant plus qu'il faut voir loin et grand et les barrières sont énormes", confirme Eloïse Devallière, consultante senior Mobilités pour le cabinet Wavestone.

"C'est dommage car Midnight Trains voulait disrupter le secteur. Mais le train de nuit n'attire pas les investisseurs, à part sur des marchés de niche comme le grand luxe (type Orient-Express, NDLR) ou si l'offre est lancée par un opérateur qui a par ailleurs d'autres sources de revenus pour compenser le coût de l'exploitation", poursuit la spécialiste.

"Pour que les acteurs économiques s'intéressent à un secteur d'activité, il faut une incitation des pouvoirs publics ou un mécanisme pour dérisquer, mais il n'y a rien pour les nouveaux entrants ferroviaires", rétorque Adrien Aumont qui dénonce donc l'absence de soutien de l'État.

Une attaque qui peut paraître surprenante. Pourquoi l'État subventionnerait-il un acteur privé qui souhaite se lancer dans le train de nuit alors qu'il subventionne et finance déjà les trains de nuit de la SNCF qui n'ont jamais été rentables?

"L'ouverture du marché de la longue-distance en 'open-access' telle qu'elle est organisée pose comme règle l'objectif de rentabilité de la concurrence, sans subvention quelconque de l'État, ce qui est assez logique", souligne Eloïse Devallière.

2026-2028: de nouveaux acteurs feront rouler leurs trains

Et les contre-exemples existent désormais. La compagnie Le Train, qui souhaite lancer une liaison régionale à grande vitesse et à haute fréquence entre les métropoles du Grand Ouest, franchit ses derniers obstacles, finalise sa dernière levée de fonds de 400 millions d'euros et va lancer la production de ses trains avec Talgo. Elle pourrait se lancer en 2026.

"2024 est une année charnière pour nous, tant au niveau financier qu'industriel", confirme auprès de BFM Business Alain Gétraud, fondateur et président de la jeune entreprise, et ancien de la SNCF.

Kevin Speed, de son côté, annonce "la grande vitesse pour tous, tous les jours" avec "des trains rapides (300 km/h) et abordables (low-cost) entre les métropoles et surtout entre les villes situées proches de celles-ci. Une sorte de RER à grande vitesse donc.

Si cet acteur s'est engagé à acheter 20 nouvelles rames à Alstom, il doit néanmoins boucler une levée de fonds de 1,2 milliard d'euros d'ici la fin de l'été, et compte également sur le soutien de BPI france.

"Pour ces 'pure-player', il n'y pas de point de comparaison, ils ne proposent pas un modèle classique de liaison point-à-point, ils proposent une offre de rupture donc ça semble risqué", nuance Eloïse Devallière. Néanmoins, si on ne retient que Le Train, le projet est tout proche de se concrétiser.

Deux ou trois opérateurs sur les tronçons les plus populaires

Autre offensive, très récente et particulièrement prometteuse: Proxima qui a annoncé ses ambitions ce jeudi. À savoir se lancer en 2027 ou 2028 pour concurrencer le TGV vers Bordeaux, Rennes, Nantes et Angers depuis Paris.

Le nouvel opérateur a un argument de taille: il annonce avoir levé 1 milliard d'euros auprès d'Antin Infrastructure Partners (qui devient donc son principal actionnaire). De quoi sécuriser le financement de son lancement (notamment l'achat de 12 rames à Alstom) après une longue et discrète préparation. Et il se positionne sur des liaisons à forte capacité.

"C'est le modèle économique qui a le plus de chance de fonctionner, très capitalistique, avec l'achat de matériel neuf grâce au financement important par des fonds d'investissements et des banques qui permettent de voir loin sur le calendrier. Si on compare avec d'autres pays, c'est le modèle qui permet d'atteindre la rentabilité en Italie, notamment avec Italo", estime Eloïse Devallière.

Finalement, "la concurrence dans le rail français, oui c'est possible", lance l'experte. "Le marché est attractif, il y a une demande forte. Néanmoins, il n'y aura pas non plus 15 acteurs", prévient-elle.

"Il y aura toujours une limite: à terme on ne devrait voir que deux ou trois opérateurs sur les tronçons les plus populaires, pour des questions financières mais aussi pour des questions opérationnelles".

"Et je pense que contrairement à ce qu'on peut dire, la France n'est pas du tout en retard. Le temps ferroviaire est un temps long et l'ouverture du marché est assez récente". Sur les lignes à grande vitesse, le monopole de la SNCF s’est en effet achevé en décembre 2020.

Délais de livraison et conducteurs, les autres grands freins à la concurrence

Si la mobilisation de capitaux est considérable pour lancer une offre ferroviaire (achat de trains, coût des péages pour rouler), d'autres obstacles interviennent aujourd'hui, freinant mécaniquement les ambitions.

Il y a d'abord les délais pour obtenir des trains neufs. Les carnets de commandes des grands industriels comme Alstom sont pleins. Si on additionne les commandes des nouveaux arrivants avec celles faites par la SNCF, on ne voit pas bien comment les industriels pourraient livrer dans les délais. Même le TGV M est en retard. Quant au marché de l'occasion, il n'existe tout simplement pas.

Les conducteurs deviennent également une denrée rare. La SNCF tente d'en recruter en masse mais Trenitalia et la Renfe font de même et les nouveaux acteurs doivent également monter leurs équipes. Outre les débauchages entre opérateurs, les compagnies misent sur de nouvelles recrues. Mais les temps de formation sont longs et la sélection drastique. À la SNCF, il faut 100 CV pour recruter un conducteur qui obtient l’examen. Et les départs précoces sont nombreux. Cette situation a néanmoins un avantage certain: les salaires sont à la hausse pour attirer les profils.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business