Procès en appel de l'attentat de Nice: le double traumatisme des victimes musulmanes
"Pour eux, on était coupable": des victimes musulmanes de l'attentat du 14-Juillet à Nice ont évoqué ce lundi 6 mai le double traumatisme du deuil et de la haine exprimée contre elles par certains, lors du procès en appel de deux proches de l'islamiste auteur de l'attaque.
Il y avait une trentaine de musulmans parmi les 86 personnes tuées dans l'attaque au camion-bélier sur la promenade des Anglais, mais leurs proches ont dû subir des "regards de haine", ont rapporté plusieurs soeurs d'Aldjia Bouzaouit, Franco-Algérienne de 42 ans tuée dans l'attentat.
"Il y a eu des belles personnes mais il y a eu beaucoup de personnes qui ont manifesté leur haine et leur dégoût. Je ne m'en remets pas", a ainsi témoigné Sabra Mokaissi.
"Ces paroles-là vous hantent"
La famille a même reçu de nombreux messages malveillants sur le téléphone inscrit sur l'avis de recherches qu'elle avait diffusé, faute de pouvoir retrouver Aldjia après le drame: "bien fait pour vous", "continuez à vous entretuer"...
"Il y a des gens qui nous ont pris dans leurs bras mais ces paroles-là, elles restent, elles vous hantent", a témoigné Sabra Mokaissi. "On était victime mais pour eux on était coupable, parce qu'on est musulman".
"Ça a été terriblement douloureux. Je devais tout le temps me justifier. Ce n'est pas ça l'islam", a raconté cette femme qui porte le voile et qui a récité devant la cour, en arabe, le verset du Coran qu'elle avait choisi pour annoncer à sa mère le décès d'Aldjia.
Mariée à un gendarme, elle a aussi tenu à s'adresser aux terroristes: "Vous n'êtes pas de ma religion! (...) Nous avons construit des ponts pour apprendre à vivre en paix les uns avec les autres. Peu importe combien vous en détruirez, nous les reconstruirons".
Les deux filles d'Aldjia, âgées de 10 et 18 ans au moment de la mort de leur mère, avaient prévu de confier un témoignage à une autre de leurs tantes, mais elles n'ont pas réussi à l'écrire. "C'est encore trop tôt", a témoigné la tante.
Pour la première fois dans cette affaire, deux enfants ont en revanche témoigné directement lundi, en visioconférence depuis Nice. En première instance, des adultes s'étaient exprimés au nom des enfants.
Un "film d'horreur"
Au-delà de la quinzaine de mineurs tués dans l'attentat, l'association "Une voie des enfants" estime que 3.000 enfants étaient présents le soir du drame et que 700 d'entre eux ont été suivis par la cellule psychologique spécialement créée après l'attentat.
Lundi, Landy et Telyan, âgés aujourd'hui de 13 et 12 ans, ont chacun lu leur témoignage d'une voix claire.
"D'un coup, boom, plus rien. Nous sommes tombés, percutés par différents mouvements de foule et par ce camion. Nous avons perdu connaissance et le film d'horreur a commencé", a raconté Landy, alors âgée de cinq ans et demi.
Touchée au crâne et à une jambe, elle a passé un mois à l'hôpital mais reste surtout marquée par la panique qui a frappé la famille juste après l'attaque: renversée parmi les cadavres, la poussette de son petit frère de huit mois était vide.
Il a fallu plusieurs heures et un appel relayé sur les réseaux sociaux pour retrouver le bébé, mis à l'abri par un couple ayant entendu hurler.
"Je m'en rappelle comme si c'était hier", a insisté Landy en évoquant les angoisses, les retards scolaires, les problèmes de comportement qui l'ont touchée comme nombre d'enfants victimes. Au total, une dizaine d'enfants ont prévu de témoigner dans les prochains jours.
Depuis le 22 avril et jusqu'à mi-juin, Mohamed Ghraieb, 48 ans et Chokri Chafroud, 44 ans, condamnés tous deux en première instance à 18 ans de réclusion criminelle (sur 20 ans encourus), sont jugés en appel pour association de malfaiteurs terroriste.
Ils ont toujours proclamé leur innocence, affirmant tout ignorer des projets criminels de l'auteur de l'attentat, tué par la police.