"On a déconné un peu": comment les Écologistes sont passés à côté des européennes
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Les Écologistes peuvent respirer. Avec leurs 5,5% ce dimanche 9 juin, selon notre estimation Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune, ils évitent leur disparition du groupe des Verts au Parlement européen.
"Pas d’écologie sans les écologistes!", lançait, comme un mantra, Marie Toussaint le 2 juin à Aubervilliers. "Le moment sacré, c’est le vote, quand les résultats sont connus, pas le commentaire des sondages", se rassurait David Cormand, numéro 2 sur la liste, à quelques jours du vote. Le moment sacré est passé, il faut maintenant en tirer les leçons.
"Face à la guerre menée à l'écologie, nous avons tenu bon, mais nous reculons et nous reculons nettement", a admis Marie Toussaint dimanche. "Je marchais en première ligne et je n'ai pas su convaincre au delà de notre socle (...) Je m'en excuse sincèrement."
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"Un moment de backlash écologiste." Ainsi, Marine Tondelier, secrétaire nationale des Verts, décrivait mi-avril, le contexte dans lequel son parti faisait campagne.
À ce moment-là, selon un sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche, sa tête de liste, Marie Toussaint, pointait à 8,5% des intentions de vote. Loin déjà des 13,48%, et de la troisième place, remportés par Yannick Jadot en mai 2019. Lui était donné à 9% à quelques semaines du scrutin. Marie Toussaint a fait le chemin inverse.
L'érosion dans les sondages a même coincïdé avec le lancement de la campagne. Cette fois, le PS a siphonné l'électorat écologiste. L'exact inverse d'il y a cinq ans. "Évidemment que c'est un vote à la belle gueule, au plus sympa", grince-t-on, dans l'entourage de Marie Toussaint, en visant Raphaël Glucksmann.
Aujourd'hui, le vent est de face. Les préoccupations des Français sont des craintes pour leur quotidien. De la guerre d'agression russe en Ukraine à l'inflation alimentaire, en passant par l'explosion de leurs factures énergétiques. Dernièrement, la crise agricole, qui a marginalisé les mesures écologiques, et dénoncé les Verts comme des tenants d'une "écologie punitive".
Aussi, les Verts sont vus comme déconnectés des classes populaires. Le 20 mai, quand Pauline Rapilly Ferniot, 31e sur la liste EELV, déguisée en pénis, se présente à l’accueil de Radio France à Paris pour soutenir l’humoriste Guillaume Meurice, quel est le message?
"Ils ont fait une campagne de gauchistes, au lieu de faire une campagne d'écologistes. Avec que des happenings. Ils vont avoir la Nuit des long couteaux après les européennes", raille une députée PS.
Des débuts "iconoclastes"
Pourtant le volet social est développé dans le programme écologiste. De l'instauration d'un "veto social", qui consiste à bloquer toute mesure qui serait préjudiciable aux Européens les plus pauvres, à la lutte contre la "précarité énergetique". "Sous les grosses voix de l'extrême droite, on a du mal à faire comprendre que le vrai vote social, pour l'avenir des plus pauvres, et pour l'avenir de la planète, c'est le vote écolo", s'inquiétait début mai une source proche des Verts européens.
Un mantra pendant la campagne: convaincre de la nécessité de "l'espoir vert", face au "péril brun", expliquait l'eurodéputé David Cormand.
Début du chemin de croix le 4 décembre 2023. Les Écologistes sont les premiers sont à lancer leur campagne pour les élections européennes du 9 juin. À gauche, de la France insoumise (LFI), au Parti socialiste (PS), en passant par le Parti communiste (PCF), les têtes de listes ne sont toujours pas connues. Raphaël Glucksmann et Manon Aubry tiennent leur premier meeting mi et fin-mars. Léon Deffontaines, mi-avril.
Et quel lancement... Ce qui perce le mur du son, c'est le cours de "booty therapy", séance de danse collective, organisé pendant le meeting. Auquel participent Marine Tondelier, Marie Toussaint ou encore Yannick Jadot.
"On aurait pu faire moins iconoclaste, ça a permis à nos adversaires de nous attaquer", constate-t-on, à froid, dans l'entourage de la candidate.
Des attaques qui vont s'intensifier, la campagne allant. Des "alliés" de la feu Nupes, à la droite et l'extrême-droite, en passant par la macronie. "Nous sommes désignés par les autres partis comme l’ennemi à abattre", regrettait David Cormand. L'écologie, relegué "sujet second par LFI, ce n'est pas leur faire injure que de le dire". "Même chose avec le retour de la sociale-démocratie au PS."
Les quatre listes concurrentes à gauche vont se taper dessus toute la campagne. Objectif initial? "Avoir le plus de députés écologistes en luttant contre l'ascension de l'extrême-droite... Sans pouvoir autant affaiblir nos amis de gauche", détaillait en forme de souhait un membre de l'équipe de campagne.
Cruel est le regard dans le rétroviseur. Le pacte de non agression, évoqué par Marie Toussaint? Enterré. Oublié la volonté d'une campagne empreinte de "douceur". Les voix les plus critiques sont insoumises. "La campagne de la douceur, c'était à côté de la plaque par rapport à l'état du pays", cingle un élu LFI, juste après le meeting.
Les écolos ne sont pas au niveau du moment", poursuivait-il. "Marie Toussaint va payer dans les urnes le fait d’avoir tourné le dos à l’union. Elle s’est sabordée. Les Verts vont le payer dans les urnes."
"On était prêt à mettre Marie Toussaint en tête d'une liste unifiée à gauche", rappelle Matthias Tavel, député proche de Manon Aubry. "Ce sont les Verts qui n'ont pas voulu. Au prétexte que les européennes, c'est leur scrutin, là où ils font le meilleur score".
"Une faute politique qui se traduit par une faute électorale", tance encore un député insoumis.
L'échec de la notabilisation
Premier débat pour Marie Toussaint le 14 mars. Le moment de créer l'évènement, du décollage dans les intentions de vote? Raté. "Campagne courageuse", "de convictions", salue un parlementaire socialiste dans la foulée. "Sérieuse et solide", pour David Cormand. "J'ai la faiblesse de croire que quand on est solide, les gens s'en rendent compte". Mais ce sérieux ne suffit pas à la tête de liste écologiste pour imprimer dans l'opinion.
Le toboggan dans les sondages continue. Les incompréhensions stratégiques essaiment jusque dans l'état-major. "Là où on a déconné un peu, c'est qu'on a eu du mal à se positionner de façon très incarnée sur les questions européennes. Yannick Jadot avait un ton plus européen", analysait une élue écologiste à un mois du scrutin.
"Glucksmann, il a parlé de la place de l’Europe dans le monde!", note un parlementaire écologiste. Mais c’est notre échelon à nous!". "Je n'ai pas compris cette campagne", résume cet élu. Je sens qu'on avait pas cette envie (de gagner). Cela me rend triste."
Mêmes doutes concernant le choix de Marie Toussaint, pourtant très assidue à Strasbourg. "Il fallait mettre des leaders en tête de liste! Marie elle a l'expérience des dossiers mais pas d'incarnation! Elle n'est pas connue!", observe un élu écologiste. Mais les statuts du mouvement interdisent de faire plus de 3 mandats à Bruxelles. Absents donc, Yannick Jadot, aujourd'hui sénateur de Paris, ou Karima Delli, présidente de la commission transports, tous deux élus entre 2009 et 2023.
Il y a cinq ans, les Écologistes avaient le vent dans le dos. Le combat culturel, "mené depuis plus de 40 ans, à alerter l'opinion, sans attendre que les sondages aillent dans notre sens", selon les mots de Marine Tondelier, semblait en partie gagné.
En Europe, des dizaines de milliers de jeunes manifestent pour le climat, et appellent leurs gouvernants à prendre la mesure de la crise climatique. En France, la démission surprise de Nicolas Hulot, éphèmère ministre de la transition écologique et solidaire d'Édouard Philippe, est l'étincelle.
C'est l'année aussi de la pétition "l'Affaire du siècle", qui a rassemblé plus de 2,3 millions de signatures. Et permis la condamnation de l'État français pour inaction climatique. Campagne dont... Marie Toussaint, juriste de formation en droit international de l'environnement, est à l'origine.
Méconnue du grand public, la délégation écologiste a pourtant le bilan le plus "vert" des candidats aux européennes, selon le Réseau action climat, composé de 27 ONG, dont Greenpeace. Et la tête de liste Marie Toussaint a largement contribué à la négociation du "Pacte vert", la feuille de route européenne, forte de 150 textes, destinée à lutter contre le réchauffement climatique.
Juriste internationale de formation, elle s'est aussi battue pour la notabilisation de la notion "d'écocide". Portée par la vague verte de 2019, les eurodéputés écologistes ont pris des responsabilités. Mais gouverner c'est choisir... et déplaire.
"On déçoit toujours quand on a un bilan à défendre. Le "Green deal" commence à faire effet en Europe donc forcément, c'est plus conflictuel", veut croire une source proche des Verts européens.
"On observe une forme de ressaisissement en cours, depuis une semaine", espérait David Cormand, peu de temps avant le scrutin. Avant de compléter avec prudence, "je ne dis pas que ça va être le cas du simple au double comme en 2019. Parfois, les bonnes campagnes font des résultats décevants..."