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Ce jour du 30 mars, Manon* (prénom changé) hésite à sortir se promener. Elle habite la région et a la soixantaine. Très en forme, elle sort régulièrement faire de longues balades en montagne, quitte à grimper parfois très haut.
Ce jour-là, cette retraitée a un peu la flemme. "C'était un temps à rester sous la couette, avec beaucoup de vent", raconte-t-elle. Elle finit par se décider. Elle met son pantalon de randonnée, prépare un pique-nique et part...
"Ce chemin, ça fait longtemps que je ne l'avais pas pris"
Celle qui a l'habitude de faire de grandes balades part toujours sans montre ni portable. "D'ailleurs je n'en ai pas", sourit celle qui se définit comme "une érudite moderne". Ce jour-là, elle part à 12 heures. Elle le sait, même sans montre, car elle entend "le clocher de l'église romane".
Régulièrement cette grande marcheuse change de parcours. "Ce chemin, ça fait longtemps que je ne l'avais pas pris". "Je ne sais plus, depuis un mois, un mois et demi", essaie de se souvenir celle qui dit ne pas avoir la notion du temps. Un chemin "fréquenté mais surtout en été". Un chemin plat mais parallèle à une pente avec les hauteurs sur sa gauche. "Une pente avec un bon dénivelé qui vient du Haut-Vernet m'expliqueront plus tard les gendarmes". Comprenez que son chemin est donc en dessous du Haut-Vernet.
"Je le trouve au milieu du chemin"
Elle ne sait pas depuis combien de temps elle marche quand elle tombe sur ce qu'elle appelle aujourd'hui "la chose" car "le mot crâne me renvoie l'image", dit-elle avec une mine affectée. "Je le trouve au milieu du chemin", s'étonne-t-elle assurant qu'on ne pouvait pas le rater.
"Il est blanc, tout propre. Il n'y a que les dents du haut", se souvient-elle. Elle n'a pas douté une seconde.
"Je savais que c'était lui", dit-elle avec des larmes dans les yeux.
Au moment de la découverte, elle luttera contre la détresse, alternant les émotions: "Je pleure, puis je me calme". Elle doit prendre une décision, elle n'a pas de portable et ne peut donc appeler personne...
"J'aurais pu le laisser mais après, le temps d'y retourner, il n'aurait plus été là", explique-t-elle. "C'est pour ça que je l'ai ramassé, je sais que les jours de temps comme ça, si on attend, la montagne n'est plus la même".
Elle assure que le sirocco soufflait fort et qu'il y avait des éboulements. Elle veut le prendre mais sans l'altérer. Elle a alors une idée. Sur elle, elle a deux sacs plastiques. Pourquoi? Elle dit que c'est sa stratégie pour garder ses pieds au sec quand elle traverse des flaques ou de la neige. Elle enfile le sac en plastique comme une chaussette. Elle en a deux, qu'elle n'a pas encore utilisés ce jour-là.
À ce moment du récit, elle nous raconte en mimant la scène. Elle décide d'utiliser les deux pour, méthodiquement, les passer de chaque côté du crâne et réussir à le prendre sans le toucher. Les gendarmes lui demanderont tout de même plus tard si elle n'avait pas mis de son ADN, avant, à l'intérieur des sacs... Elle ne sait pas.
Avant de partir, elle a la présence d'esprit de se dire qu'elle devra pouvoir revenir, pour montrer aux gendarmes l'endroit exact de la découverte. "Je me suis dit 'il me faut un repère'. Alors j'ai vu un immense sapin écroulé sur le côté. Je me suis dit 'c'est ce sapin qui me servira de repère'".
Elle se met en route. "Je cours, je veux me presser". "Je me dis 'vite vite vite, il faut que je ramène la chose et les gendarmes vont trouver le coupable (...) l'enquête va enfin avancer". Elle précise: "Tout le voyage, je porte la chose à bout de bras" car "sentir la forme toucher mon corps me terrifie". Elle a mal au bras mais continue de se dépêcher. Au-delà de l'enquête, elle pense surtout aux parents du petit Émile.
"Je me dis enfin le papa et la maman vont pouvoir l'enterrer. Ils vont pouvoir savoir".
"Je dis aux gendarmes: 'J'ai trouvé un crâne'"
Elle arrive chez elle vers 14 heures. Elle le sait encore une fois grâce aux cloches. Elle laisse le crâne à l'extérieur sur la terrasse. "Le rentrer dans la maison, c'est inconcevable". Elle appelle immédiatement les gendarmes. "Je leur dis: 'Je suis au (son adresse) et j'ai trouvé un crâne' et les gendarmes me répondent 'on arrive, on vous rappelle, restez où vous êtes'". Elle leur donne rendez-vous au bout de sa rue. Elle a peur de ce que pourraient penser les voisins qui ont tous en tête la disparition d'Émile.
Le temps qu'elle se fasse un café tout en continuant à essayer de se calmer, les gendarmes sont là. L'un d'eux mesure immédiatement le crâne, et ils emmènent Manon. Il est environ 15 heures, elle restera neuf heures en audition. Neuf heures qui comprennent un retour sur le chemin pour qu'elle montre tout de suite l'endroit de la découverte et que les gendarmes en ferment l'accès.
Des perquisitions à son domicile
De l'audition, elle raconte que "tout se passe bien, ils font leur travail". "Je réponds à leurs questions et c'est tout", poursuit-elle. Des questions qui comprennent la découverte, sa personnalité et l'affaire. Ils la ramènent chez elle vers minuit.
"Le lendemain je ne m'y attendais pas, perquisition!". Les gendarmes récupèrent notamment ses appareils électroniques et lui rendront une semaine plus tard. En l'état de nos informations rien n'indique qu'elle soit suspecte. Elle n'a d'ailleurs jamais été placée en garde à vue.
Aujourd'hui elle assure qu'elle va bien, elle est croyante et sa foi l'aide beaucoup. Quand elle parle du crâne, elle a quand même une émotion non-dissimulable et des larmes dans les yeux. Elle n'est pas retournée se promener depuis. "Il faut que je digère."
"Je suis épuisée mentalement et physiquement par tout ça."
Elle qui est croyante pense beaucoup aux parents du petit Émile: "Que peut-on dire à des gens qui ont perdu leur enfant?", réfléchit-elle à haute voix. "Qu'ils trouvent la paix... Que Dieu leur donne la paix".