BFMTV
Police-Justice

Mohamed Amra: des failles lors de sa surveillance en prison? Pourquoi la justice va enquêter

Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a annoncé le lancement d'une enquête administrative sur d'éventuels dysfonctionnements ayant pu favoriser l'évasion de Mohamed Amra, le 14 mai au péage d'Incarville dans l'Eure.

Mohamed Amra était-il surffisament surveillé? Existait-il des éléments qui pouvaient laisser penser qu'il passerait à l'acte? Son évasion, et la mort de deux agents pénitentiaires, aurait-elle pu être évitée? Interrogée ce mercredi 29 mai au Sénat, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a annoncé l'ouverture d'une enquête menée par l'Inspection générale de la Justice (IGJ) sur d'éventuels dysfonctionnements qui aurait favoriser cette évasion.

"J'ai la ferme intention de faire toute la lumière sur la prise en charge du détenu Mohamed Amra, et notamment en ce qui concerne le partage d'informations", a indiqué le ministre lors de la séance des questions au gouvernement devant le Sénat.

Mohamed Amra sur écoute pendant plusieurs mois

À l'origine de cette enquête administrative, Éric Dupond-Moretti dit avoir "découvert dans la presse un certain nombre d'éléments concernant le détenu Amra qui font état d'une dangerosité certaine qui ne semblait pas avoir été prise en considération." En l'espèce, des informations révélées par BFMTV et Le Parisien le 23 mai dernier.

Entre novembre 2022 et mai 2023, Mohamed Amra, détenu à la prison de la Santé à Paris, a été mis sur écoute dans le cadre d'une autre affaire. Ces écoutes ont brossé le portrait d'un homme violent, dangereux, menaçant, suffisamment important dans la hiérarchie criminelle pour pouvoir bénéficier de facilités en détention.

Ainsi, ce détenu se faisait livrer de la drogue dans sa cellule et était équipé de nombreux téléphones portables à l'aide desquels il continuait à gérer ses affaires, allant jusqu'à tenter d'acheter des fusils d'assaut ou encore jusqu'à diriger une opération d'enlèvement menée par ses complices à l'extérieur.

Ces écoutes ont été ordonnées par un juge d'instruction marseillais dans le cadre d'une information judiciaire. Éric Dupond-Moretti se demande pourquoi ces informations sur le profil de Mohamed Amra n'ont pas été signalées à l'Administration pénitentiaire, ce qui aurait permis de prendre en compte son degré de dangerosité et d'anticiper un éventuel projet d'évasion.

Un projet d'évasion déjà connu?

Se pose alors la question de savoir si le juge d'instruction marseillais était dans l'obligation de divulguer le contenu des écoutes, surtout s'il laisse à penser que le détenu projette de s'évader. De fait, non. Le directeur de l'établissement est évidemment informé que la cellule va être sonorisée. Mais la plus grande discrétion doit régner pour éviter que le détenu ne se rende compte qu'il est sur écoutes. En vertu du secret de l'instruction, le juge n'a pas à informer l'administration pénitentiaire du contenu des écoutes.

Toutefois, si lors des écoutes, le juge d'instruction découvre que le détenu commet des délits, plusieurs possibilités s'offrent à lui. Si ces infractions sont relatives à l'affaire dont il a la charge, il les ajoutera à son dossier d'instruction. Si cela ne concerne pas son dossier, il doit avertir le parquet compétent. Et si le magistrat instructeur découvre que le détenu prépare son évasion, alors il doit avertir le parquet compétent sur la maison d'arrêt qui pourra ouvrir une nouvelle enquête et aviser l'administration pénitentiaire.

Il faut relever que les écoutes ont eu lieu entre novembre 2022 et mai 2023, soit un an avant l'évasion de Mohamed Amra. À cette époque, avait-il déjà le projet de s'évader? A-t-il laissé à penser qu'il préparait une opération? Après la prison de la Santé, Mohamed Amra a fréquenté la prison des Beaumettes à Marseille et la maison d'arrêt d'Evreux, sans que l'on sache s'il a bénéficié des mêmes facilités ou même s'il était toujours surveillé ou écouté. C'est ce que doit déterminer cette enquête de l'Inspection générale de la Justice.

Le débat sur son statut carcéral

La question qui découle de cette affaire ramène au débat sur le statut carcéral de Mohamed Amra. La procureure de Paris, Laure Beccuau, l'avait indiqué lors de sa conférence de presse. Mohamed Amra était, "récemment", passé du statut "escorte niveau 2" au statut "escorte niveau 3". Il s'agit de l'avant-dernier niveau de dangerosité pour un détenu.

Le seul niveau supérieur est celui de "détenu particulièrement signalé" (DPS) qui entraîne des mesures de surveillance beaucoup plus poussées (fouilles plus systématiques, escortes renforcées, etc...). La question est donc de savoir pourquoi Mohamed Amra n'a pas été considéré comme un DPS. L'attribution d'un statut de DPS est rare et le statut ne concerne d'une poignée de détenus, la plupart impliqués dans des affaires de terrorisme. Et ce classement s'obtient au terme d'un long processus.

Vincent Vantighem avec Justine Chevalier