"Je ne peux pas contrôler la haine": pourquoi Lena Situations est-elle la cible de tant de critiques?
"1.001 commentaires comme on ne peut plus se les voir". Dans un épisode de son podcast Canapé six places, publié le 8 février, l’influenceuse Lena Situations a dénoncé, encore une fois, les vagues de haine dont elle est victime sur les réseaux sociaux. Elle n’en est pas à son premier coup de gueule à ce sujet. Depuis plusieurs années, la créatrice de contenus a attiré des critiques virulentes sur des sujets très variés, allant de son couple à son physique en passant par son travail.
"Ça fait déjà quelques années, je dirais qu'à partir du moment où ma relation de couple a été publique, ça m'(est arrivé) à peu près une fois par mois", a-t-elle estimé dans son podcast.
Un phénomène si régulier qu'il a même inspiré au site Topito un "top 11 des fois où Lena Situations s’en est pris plein la tronche".
Une influenceuse très exposée
La jeune femme cumule plusieurs facteurs qui la rendent particulièrement exposée aux violences en ligne. Sa notoriété d'abord: elle est l'une des influenceuses les plus suivies en France (2,7 millions d'abonnés sur YouTube, 4,5 millions d'abonnés sur Instagram). Surtout, comme le souligne la doctorante en sciences de l'information et de la communication Judith Caceres, même si elle n'est pas "celle qui a le plus d’abonnés en chiffres (...) elle a une communauté très présente en engageante. Ses abonnés la suivent sur tous les canaux, ils partagent, c’est important dans le monde de l’influence". Elle recueille donc à l'origine beaucoup d'attention.
Une exposition démultipliée par "l’éclectisme de ses activités, de ses apparitions", ce qui n'est pas le cas de tous les influenceurs, selon Judith Caceres, qui finit une thèse sur la notoriété sur YouTube. Lena Situations est en effet présente aux défilés de plusieurs créateurs de mode, dans les médias traditionnels lorsqu'elle fait la couverture de Elle par exemple, dans le secteur du podcast, dans celui de l'édition avec son livre à succès Toujours plus, +=+...
Des succès qui la soumettent aux attaques de ceux qui ne comprennent pas la réussite de personnalités issues des réseaux sociaux, comme lorsqu'elle a été critiquée sur sa légitimité à l'avant-première mondiale du film Barbie. Judith Caceres y voir un symptôme de la "guerre entre le nouveau monde et l'ancien monde", pas seulement découpés en générations car "tous les jeunes ne sont pas immergés dans la culture web".
La vidéaste dénonce le sexisme dont elle est victime
La célébrité de Lena Situations ne suffit toutefois pas à expliquer ces vagues de cyberviolences: Squeezie est par exemple encore plus connu et n'attire pas le même type de critiques. La créatrice a elle-même déjà pointé le caractère sexiste de nombreuses insultes qu'elle reçoit, comme lorsqu'on l'accuse de tromper son conjoint, l'influenceur Seb, ce que lui ne subit pas en retour.
"Ce qui m'embête, ce n'est pas juste d'être insultée de 'pute', évidemment ce n'est pas très agréable à lire", mais surtout "que beaucoup de commentaires vont être ramenés à mon couple et à mon chéri", a-t-elle déclaré dans son podcast la semaine dernière.
"Malheureusement, sur les réseaux sociaux - je pense beaucoup aux créatrices de contenus, aux meufs qui s'exposent sur les réseaux sociaux - (...) ton travail ne sera pas un sujet de discussion. Par contre, avec qui tu sors, qui te tapes, qu'est-ce que tu portes, comment t'es habillée, la taille de ton décolleté, seront des choses mises en avant alors que ce n'est même pas 1% de ton contenu habituel", a encore dénoncé la vidéaste.
Laure Salmona, cofondatrice du collectif Féministes contre le cyberharcèlement, estime aussi que Lena Mahfouf paie surtout le prix de son genre. "Être une femme et prendre de la place dans la sphère numérique, c’est déjà quelque chose de subversif", affirme-t-elle. Les femmes sont en effet très peu représentées parmi les vidéastes les plus suivis sur YouTube par exemple.
"Les influenceuses reprennent le pouvoir"
Léna Situations est également "une femme racisée", souligne Laure Salmona, or "beaucoup d’études montrent qu’elles sont plus visées par les cyberviolences que les femmes blanches". C'était par exemple la conclusion d'une étude de l'ONG Amnesty International sur les tweets envoyés à 778 femmes politiques et journalistes de sexe féminin au Royaume-Uni et aux États-Unis en 2017.
"C’est très difficile pour les femmes et notamment les femmes racisées de réussir à prendre une place dans cet espace public et d’être perçues comme un sujet et non comme un objet", détaille la coautrice du livre Politiser les cyberviolences.
"Les influenceuses reprennent le pouvoir sur la manière dont elles vont se mettre en scène, pendant des siècles les femmes étaient mises en scène à travers le male gaze (le regard masculin, NDLR) dans les productions culturelles. Et aujourd'hui elles se mettent en scène elles-même", ajoute-t-elle. Les vagues de haine arrivent donc en réaction à cette place récemment acquise.
Des cyberviolences qui touchent son travail
Face à la régularité de ces attaques, Lena Situations a tenté différentes tactiques. Elle a commencé par ne rien dire et même publier moins de contenus, comme elle le racontait dans une vidéo en juillet 2022. Elle y expliquait pourquoi, entre septembre 2021 et juillet 2022, elle n'a publié que sept vidéos sur sa chaîne YouTube.
La créatrice disait avoir "raté beaucoup" de travail en ayant perdu confiance en elle à cause du cyberharcèlement qu'elle a subi. "Je n'avais plus confiance en mes idées, dès que je disais quelque chose, dès qu'il y avait une phrase qui sortait de ma bouche, je me disais: 'comment ils vont l'interpréter, comment ils vont en faire un nouveau sujet, comment on va me tailler'".
"Le monde virtuel, c’est le monde réel"
Elle a donc décidé de dénoncer ces cyberviolences à ce moment: "je ne peux pas contrôler la haine qu'il peut y avoir sur moi", mais "je peux contrôler l'impact que ça va avoir sur moi". "Il fallait qu’elle le fasse pour rester en adéquation avec ce qu’elle est", avec son image d'influenceuse authentique, qui "se montre sur son 31 mais aussi sans maquillage, en pyjama", décrypte Judith Caceres.
Pourtant, les attaques n'ont pas cessé: depuis, elle a été critiquée sur sa tenue au Festival de Cannes, pour une danse avec le chanteur Matt Pokora, pour une photo avec un mannequin... "Ce qui est terrible c’est de se dire que des femmes comme Lena Situations (...) n’ont pas de ressources pour faire cesser ces violences. On se dit que pour les femmes et les filles qui n’ont pas ce pouvoir, c’est encore pire. C’est extrêmement triste", observe Laure Salmona.
Pour Judith Caceres toutefois, il est important de "rendre visible ces vagues de haine", il faut le faire sur le web. "Cela montre qu’elles existent" et permet d’apporter une certaine éducation aux médias: il faut dire que le monde virtuel, c’est le monde réel", juge-t-elle.
Deux numéros verts dédiés au harcèlement
Si un élève est victime de harcèlement scolaire, lui ou ses proches peuvent contacter le 3020, le numéro national de référence. La personne ou ses proches peuvent contacter gratuitement ce numéro d'écoute et de prise en charge.
En cas de cyberharcèlement, vous pouvez composer le 3018. Ce numéro est joignable 7 jours sur 7 de 9 heures à 23 heures.