"Il manque un an de pluie": dans les Pyrénées-Orientales, la sécheresse va-t-elle devenir la norme?
Une sécheresse inhabituelle. Depuis deux ans, les Pyrénées-Orientales sont confrontées à un déficit sans précédent de précipitations, auquel s'ajoutent des températures plus élevées que la moyenne.
Pour limiter la consommation en eau potable, les particuliers ont notamment interdiction de remplir leur piscine, d'arroser leur potager entre 8 heures et 20 heures ou encore de nettoyer leur voiture en dehors des stations de lavage professionnelles, par arrêté préfectoral au moins jusqu'au 31 juillet.
Signe de la gravité de la situation actuelle, la préfecture soulignait fin mai que "les tensions sur la ressource en eau se maintiennent" et que "la recharge des nappes profondes demandera plusieurs années".
Une "sécheresse météorologique quasi continue"
Si elle ne va pas forcément perdurer en tant que tel, cette situation inédite signe une évolution climatique à long terme dans la région.
Les Pyrénées-Orientales sont confrontées à une "sécheresse météorologique quasi continue depuis deux ans", observe Christine Berne, climatologue à Météo France, auprès de BFMTV.com.
S'y ajoutent des "températures plus élevées que la normale", ce qui "aggrave la situation des sols", note-t-elle.
Et les quelques averses tombées au cours de ce mois de mai dans le département n'y changent rien fondamentalement. "On en est encore loin pour rattraper le retard accumulé. Sur deux ans de sécheresse, il manque un an de pluie, environ 550 mm, ce n'est pas suffisant pour recharger les nappes phréatiques", explique à BFMTV.com Wolfgang Ludwig, professeur de géosciences à l'université de Perpignan et directeur du Centre de formation et de recherche sur les environnements marins (Cefrem).
De quoi alarmer les acteurs locaux. La présidente de la Chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales, Fabienne Bonnet, affirmait en mars dernier, selon Sud Ouest, que le département connaissait désormais la même pluviométrie que la Jordanie, et n'hésitait pas à dire: "les prochains migrants, c’est nous".
"Deux ans, c'est très court à l'échelle du climat"
Pour la climatologue Christine Berne, si la situation est inquiétante, il ne faut pas non plus tout mélanger. "Ponctuellement, en 2022-2023, les Pyrénées-Orientales ont connu une pluviométrie qu'on peut avoir en Afrique du Nord, mais pour Perpignan, c'est un record, alors que pour le Maroc, c'est une pluviométrie qu'ils ont tout le temps. On ne peut pas comparer une situation exceptionnelle avec une situation normale", explique-t-elle.
Wolfgang Ludwig abonde: "Le climat de ces deux dernières années peut se rapprocher de celui de Valence en Espagne, mais attention, une année ne fait pas le climat".
"Deux ans, c'est très court à l'échelle du climat", rappelle également auprès de BFMTV.com la géophysicienne Fabienne Trolard, directrice de recherches à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
"Pour qualifier un climat, il faut 30 ans"
À partir de quand cette sécheresse prolongée pourra-t-elle être considérée comme la nouvelle norme? "Pour qualifier un climat, il faut 30 ans", explique la climatologue Christine Berne, qui estime qu'il encore bien trop tôt pour affirmer que les Pyrénées-Orientales sont désormais une région semi-aride ou désertique.
"Les précipitations sont plutôt en diminution dans la région, mais pas sur 30 ans", souligne-t-elle. Elle assure que le territoire reste actuellement tempéré et méditerranéen.
Analyse similaire du côté de Wolfgang Ludwig pour qui, même si la sécheresse est inédite dans le département, "il est peu probable que le climat change complètement pour devenir désertique ou pour une aridité extrême".
Pour autant, "on constate une évolution du climat à l'intérieur du climat méditerranéen, avec des sécheresses plus fréquentes et une série de précipitations négative", dit-il.
Des tendances "qui commencent à être significatives"
Si le climat des Pyrénées-Orientales reste méditerranéen, il subit malgré tout des évolutions. D'après les chiffres, les tendances depuis 1959 pour l'Occitanie-Est "commencent à être significatives" et montrent "une baisse des précipitations", ainsi qu'une "hausse des températures" dans la région, selon Wolfgang Ludwig.
Pour ce dernier, il apparaît que les Pyrénées-Orientales vont vers "une baisse des ressources en eau" et des "sécheresses de plus en plus fréquentes".
Fabienne Trolard se montre, de son côté, plus réservée sur l'évolution des précipitations dans le département. "Il y a des fluctuations naturelles, le cycle de l'eau est chaotique", dit-elle. "Los Angeles a connu une sécheresse très sévère pendant 4-5 ans et l'année dernière il y a eu des inondations", relève-t-elle.
La géophysicienne rappelle également que l'influence du Gulf Stream "pourrait aussi amener un changement climatique majeur", mais dans le sens d'un "refroidissement et pas d'un réchauffement" dans la région, signe que l'évolution du climat reste complexe et incertaine.
Pour Wolfgang Ludwig, c'est simplement l'ampleur de l'évolution des précipitations qui reste incertaine. "Selon le pire scénario du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat de l'ONU NDLR), on va perdre 70 à 80% des ressources en eau dans la région, selon le plus optimiste, 30 à 40%".
Des conséquences déjà visibles
Quelle que soit son évolution, la sécheresse actuelle dans les Pyrénées-Orientales a déjà des conséquences visibles. "Il y a une migration du climat méditerranéen vers le nord de la France", note Fabienne Trolard. Dans le sud de la France, elle note notamment une évolution de la flore.
"Les cèdres français qu'on retrouvait près du Ventoux sont remplacés par les cèdres du Liban, plus résistants", évoque-t-elle.
Même chose pour les animaux. "Les barracudas de la mer Rouge nagent maintenant près des côtes françaises", dit la chercheuse. Pour les agriculteurs, cette situation devra conduire à repenser, comme ils commencent déjà à le faire, les fruits et légumes qu'ils choisissent de faire pousser.
Les locaux vont également devoir repenser leur utilisation des ressources en eau. Fabienne Trolard estime que les Pyrénées-Orientales vont très probablement être confrontées à "des difficultés sur la question des ressources en eau, avec des périodes où il y en aura trop ou pas assez". "Il faudra mettre en place des réserves, ça demandera des adaptations structurelles", prévient-elle.