Galère des stages obligatoires de seconde: les entreprises jouent-elles le jeu ?
En novembre 2023, la décision est prise. Gabriel Attal, alors encore ministre de l'Éducation Nationale, annonce l'instauration d'un stage pour les lycéens de seconde.
Objectif affiché: "reconquérir le mois de juin", où à la faveur des examens, les 560.000 lycéens de seconde étaient laissés désœuvrés. Cette "séquence d'observation" calée du 17 au 28 juin doit permettre de faciliter l'orientation professionnelle en faisant découvrir des métiers.
Comme le stage du 3ᵉ, son équivalent de seconde est obligatoire. Sur la plateforme gouvernementale accessible depuis fin mars "1 jeune, 1 solution", des offres de découverte du métier d'animateur, restaurateur, électricien ou encore paysagiste sont disponibles. Mais les propositions restent insuffisantes face au volume des besoins.
Près de trois quarts des élèves sans solution selon les syndicats
Selon le SNES-FSU, près de trois quarts des élèves seraient encore sans solution à quinze jours de l'échéance. "Tous les acteurs du monde éducatif soulignent l’impossibilité pratique d’envoyer 550.000 élèves en entreprise en même temps faute tout simplement de places", dénonçait déjà le syndicat représentatif en novembre 2023.
Si le nombre de lycéens qui ont trouvé est en réalité au-dessus des estimations basses des syndicats, ce décrochage était prévisible. Lors du lancement de la campagne, Gabriel Attal indiquait que 500.000 stages devaient être trouvés pour 300 entreprises déjà prêtes à accompagner l'initiative. Nul besoin d'être fort en maths pour constater que le hiatus était important.
Devant l'échéance, de nombreux parents postent des appels à l'aide sur les réseaux professionnels. "Le souci, c'est que contrairement au stage obligatoire de troisième, tous ceux en classe de seconde doivent le faire à la même date! Donc, impossible de trouver de la place dans le peu d'entreprises ou boutiques qui en prennent. (...) Les jeunes qui ne peuvent pas être aidés par le réseau de leurs parents risquent de se retrouver sur le carreau", dénonce une maman sur Linkedin..
Jointe par téléphone, une autre parent d'élève abonde: "Ma fille est passionnée de mode et de stylisme. Au départ, on a pensé ce stage comme un bon moyen de connaître un secteur qui l'attire. Elle a postulé sur la fameuse plateforme gouvernementale et sur la plateforme de stage parrainée par l'Île-de-France.
Elle a aussi contacté des marques, des personnes sur Linkedin... Toutes ses demandes sont restées sans réponse. Clairement, il y a un manque d'accompagnement", raconte Karine Torres Sanchez.
La jeune femme se met à la place des chefs d'entreprise: "dans le secteur de la mode, certains sont freelances. C'est quand même difficile d'accueillir des gamins qui n'ont pas de compétences particulières". Son post a suscité des réactions et même une offre de stage.
Les entreprises seraient-elles réticentes à accueillir des lycéens? Crainte de ne pouvoir occuper les stagiaires, difficulté à leur trouver des tuteurs, redondance avec le stage de troisième… Les raisons des blocages des entreprises sont nombreuses. "Dans notre groupe bancaire, il y a un temps incompressible pour obtenir des habilitations afin de leur donner accès aux outils de l'entreprise. Ce n'est pas compatible avec les deux semaines de présence sur site", raconte une manager sous couvert d'anonymat.
Certains grands groupes ouvrent leurs portes
"Toutes les entreprises ne jouent pas le jeu, regrette Etienne Barilley, président de Kalliopé et membre de deux fédérations professionnelles dans le Haut-Rhin. Elles sont inquiètes de la façon dont elles vont pouvoir occuper les lycéens.
Évidemment, un jeune vous n'allez pas le faire travailler avec un marteau-piqueur, mais vous pouvez très bien lui trouver de vraies occupations."
Le président de l'entreprise, spécialiste de la supervision de l'énergie dans l'industrie accueillera un lycéen dans son entreprise située à Colmar. Il avait reçu une quinzaine de candidatures. Comme lui, d'autres petites entreprises et commerces ont pris la balle au bond. Et certains grands groupes industrialisent l'effort.
Chez EssillorLuxoticca, le groupe fabricant spécialiste des équipements optiques, un partenariat a été mis en place entre leur Centre Innovation et Technologies d’EssilorLuxottica et deux lycées de Créteil situés à proximité, "une initiative qui s'inscrit dans le cadre de la politique d'inclusion du groupe", relate leur service RH. Trente stagiaires vont être accueillis dans ce stage pour découvrir les différents métiers de l'entreprise.
Même engagement chez Free, qui ouvre son réseau de 230 boutiques aux lycéens de seconde pour leur faire découvrir le métier de conseiller de vente. 110 offres ont été diffusées, dont déjà 45 pourvues.
"Il y a eu beaucoup d'engouement. On a eu 200 candidatures", raconte Cédric Léonidas, responsable recrutement chez Free-Illiad
"On les appelle pour sonder leur motivation, si on sent un jeune motivé et qui a une réflexion derrière le stage, il n'y a pas de raison de leur refuser le stage. Dans le groupe, c'est une envie de s'investir que l'on va rechercher", complète le responsable.
"Un employé sera toujours fier de faire connaître son métier"
Selon Cédric Léonidas et le responsable formation Eric Dupin, il n'y a aucune réticence chez les managers et opérationnels: "tout le monde est partant. On a aussi cadré le déroulé du stage même si on laisse de la latitude aux managers". Eric Dupin détaille: "des e-learnings sont proposés le 1er jour pour leur faire connaître les offres et kits mobiles commercialisés en magasin. Ensuite ils accompagnent une semaine un conseiller de vente, et l'autre semaine un manager. Ils seront en binôme avec leur tuteur". En revanche, pas de vraies missions de clientèle à leur confier "un opérateur télécom manie des données clients sensibles. Nous avons des process stricts. Il faut mettre ce temps d'observation en rapport avec la formation d'un conseiller de vente, qui dure deux semaines et demi. On estime qu'il faut minimum 3 mois pour être vraiment opérationnel en tant que conseiller."
Il reste une semaine aux équipes de Free-Illiad pour proposer des places à une quarantaine de lycéens supplémentaires. N'y a-t-il pas une organisation du dernier moment? "On aurait pu s'y prendre avant", reconnaît le responsable recrutement. "Mais c'est la première année, on fera mieux la prochaine fois !"
En tout cas, le mot d'ordre est lancé, et les plus motivés encouragent leur réseau. "On a beau jeu de se plaindre, de dire que les jeunes ne vont pas vers les métiers qui embauchent. Il faut s'impliquer davantage dans l'accueil des plus jeunes. C'est essentiel pour élargir la connaissance des métiers au-delà du réseau familial. D'ailleurs un employé sera toujours fier de faire connaître son métier", confirme Etienne Barilley.
"La direction, les cadres opérationnels, les conseillers sont contents de mettre en lumière leur quotidien. Et puis, c'est gagnant-gagnant, ajoute Cédric Léonidas. Ca peut donner envie à certains de nous rejoindre plus tard!"