Fourgon pénitentiaire attaqué dans l'Eure: comment s'organise la traque des fugitifs
Il est dans la nature depuis 24 heures. "La Mouche", de son vrai nom Mohamed Amra, est l'homme le plus recherché de France depuis son évasion violente ce mardi 14 mai dans l'Eure. Le fourgon pénitentiaire qui le transportait a été attaqué par un commando particulièrement bien organisé. Deux agents pénitentiaires ont été tués et trois autres ont été grièvement blessés lors de la fusillade.
Depuis, des moyens "sans précédent" ont été mis en place "pour retrouver non seulement la personne qui s'est évadée, mais pour retrouver "le gang", selon les mots de Gérald Darmanin, qui l'a libéré dans des conditions ignobles". On vous explique comment la traque des fugitifs s'organise.
• Le plan Épervier: figer la zone
Juste après l'attaque, le plan Épervier a été déclenché. Ce dispositif permet de déployer un maximum d'effectifs très rapidement. Plus de 450 policiers et gendarmes étaient mobilisés mardi dans le seul département de l'Eure, a indiqué le ministre de l'Intérieur.
L'objectif est de figer la zone, tant que les fugitifs se situent encore dans un périmètre restreint. Les gendarmes effectuent des contrôles systématiques, notamment de véhicules et de points stratégiques identifiés en amont.
Il s'agit par définition d'un plan temporaire: sa durée maximale est de quatre heures. Passé ce délai, les meurtriers n'avaient toujours pas été retrouvés, le plan a donc été levé. Mais les enquêteurs ont repéré deux voitures brulées, utilisées par les malfaiteurs dans leur fuite, à proximité des communes normandes de Houetteville et de Gauville-la-Campagne.
C'est la dernière trace dont on dispose. C'est donc à partir de ces endroits que les recherches vont continuer, sous une autre forme. Est-ce que ces localisations peuvent indiquer une direction de fuite des assaillants? Ou s'agit-il d'une manière de brouiller les pistes pour repartir dans le sens inverse? Après plus de quatre heures de cavale, ils ont potentiellement eu le temps de sortir de la région. Une deuxième phase de recherche va donc s'engager.
• Sur le terrain: élargir les contrôles jusqu'aux frontières
Après les quatre premières heures le périmètre de recherche va être élargi, en France mais aussi au-delà avec probablement des contrôles aux frontières. Gérald Darmanin a notamment évoqué "des moyens de coopération internationale".
"Il faut essayer de cloisonner le territoire pour filtrer", explique David Corona, profiler et ex-négociateur du GIGN. "Lorsque le ministre parle de moyens internationaux, je pense aux contrôles aux frontières. Il y a plusieurs dispositifs possibles, on peut avoir des contrôles physiques mais maintenant en Europe les frontières sont beaucoup moins gardées."
"On peut installer des lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation. Ça permet d'avoir des moyens à disposition si jamais on a détecté d'autres véhicules entre temps", précise David Corona sur BFMTV.
En effet, il est probable que les fugitifs utilisent différends véhicules pendant leur cavale. "Ils ont dû aussi changer de tenue, ils ne sont peut-être pas restés tous ensemble", ajoute-t-il. Dans toute la France, des effectifs sont prêts à intervenir dès qu'une piste se présentera.
• Sur la scène de crime: récolter et analyser les indices
Mais alors comment savoir dans quelle direction chercher? Au-delà des contrôles sur les routes et aux frontières, les enquêteurs sont surtout à la recherche d'une piste. Pour cela, tous les indices sont examinés minutieusement.
L'Office central pour la lutte contre la criminalité organisée, chargé de l'enquête, et la police judiciaire ont commencé par passer la scène de crime au peigne fin. Les équipes techniques et scientifiques ont récupéré les douilles, inspecté le véhicule des assaillants (qu'ils ont essayé de brûler en partant pour effacer toute trace).
Les enquêteurs sont aussi à la recherche de trace de sang ou d'ADN car la procureure a expliqué que les agents pénitentiaires avaient fait usage de leur arme pour se défendre. Il est donc possible qu'ils aient blessé un des complices.
La collecte, l'exploitation et l'interprétation de ces indices pourraient donner des pistes aux policiers pour retrouver les membres du commando, dont l'identité reste inconnue pour le moment.
• L'enquête: caméras de surveillance, planques...
En plus de l'analyse des indices matériels présents sur la scène de crime, les enquêteurs exploitent également les vidéos de surveillance du péage, mais aussi d'éventuelles autres vidéos prises par exemple par des témoins, des automobilistes présents sur place lors de l'attaque.
Ils s'intéressent aussi aux lieux sur lesquels les deux voitures brulées ont été retrouvées. "On part de ces lieux et on essaie de s'en écarter progressivement pour essayer de collecter toutes les pièces", explique Anthony Couzian-Marchant, ancien numero 2 du GIGN sur BFMTV.
"Il peut aussi y avoir des caméras qui surveillaient un domicile ou un établissement à proximité, donc il faut vérifier si elles ont pu voir l'arrivée ou le départ des individus", poursuit Anthony Couzian-Marchant.
"Et puis sans forcément aller jusqu'à fouiller les maisons alentours, ça peut être la recherche d'une planque ou d'un domicile à proximité", ajoute-t-il.
• Le renseignement: comprendre l'histoire
Dernier point essentiel pour espérer retrouver la trace des criminels: mener des investigations sur le profil et l'entourage du Mohamed Amra. Pour cela, les enquêteurs peuvent analyser les données téléphoniques. Ils vont aussi auditionner, voir mettre sur écoute la famille et les proches du détenu. Enfin, il vont enquêter dans le quartier où il a grandi et sur son entourage en prison.
Sur la vidéo de l'attaque, on voit apparaître cinq personnes, mais les complices sont peut-être plus nombreux. On sait également qu'une cavale nécessite de l'argent pour payer des logements, des véhicules, des complices...
"Il faut fouiller son passé, le travail de coordination entre des services de renseignement et les services enquêteurs est très important", assure Antony Couzian, ancien numero 2 du GIGN.
La grande question qui se pose après cette évasion, c'est: par qui et pourquoi a-t-elle était menée? D'autant que le pédigrée de Mohamed Amra ne semble pas correspondre à une opération de cette envergure, selon son avocat.
"Il faut fouiller les procédures en cours, les procédures passées. Est-ce qu'on a besoin de lui parce qu'il est un rouage essentiel dans un trafic de stupéfiants? Ou dans un autre type de criminalité qui est connue ou pas encore connue des services de renseignement?", interroge Antony Couzian. "C'est un élément déterminant qui permettra de savoir pourquoi on a eu besoin de déclencher des moyens aussi lourds et aussi professionnels pour le faire évader", conclut le spécialiste.