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Elément clé du vote, le pouvoir d'achat des Français s'est-il vraiment effondré ces dernières années?

Des clients font leurs courses dans un supermarché discount Lidl, à Chatenay-Malabry, le 31 mai 2023.

Des clients font leurs courses dans un supermarché discount Lidl, à Chatenay-Malabry, le 31 mai 2023. - AFP

Enjeu central du scrutin européen, le pouvoir d'achat a été relativement épargné en France avec une hausse moyenne de 5,7% depuis 2019 grâce notamment aux amortisseurs sociaux et au montant élevé de dépenses publiques.

Les Français ont-ils voté avec leur chariot de course? Plus que la question migratoire c'est celle du pouvoir d'achat qui a été au centre des préoccupations des votants ce dimanche. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, pouvoir d'achat et inflation étaient cités par 45% des électeurs comme une des trois causes ayant motivé leur choix devant l'immigration (37%) et la question environnementale (22%).

Le pouvoir d'achat est ainsi cité en premier par les électeurs de la France Insoumise et du Parti Socialiste, en deuxième par ceux du Rassemblement National, d'Europe Ecologie Les Verts, des Républicains et même de Renaissance.

Après deux ans de forte inflation qui a occupé l'espace médiatique, ce n'est pas une surprise de voir si haute cette préoccupation du pouvoir d'achat. Mais c'était déjà le cas en 2022 à la veille de l'élection présidentielle et même en 2019 lors du précédent scrutin européen où ce thème arrivait déjà en tête pour 38% des Français selon Ipsos. Depuis que le chômage n'est plus le premier motif de crainte des Français lors d'une élection (la dernière fois c'était en 2017), le thème du pouvoir d'achat occupe l'attention à chaque scrutin national.

"Ce n'est pas une spécificité française, analysait Gilles Moëc, chef économiste chez Axa vendredi dernier dans Les Echos. Mais sur la question du pouvoir d'achat et de l'inflation il y a une sursensibilité des Français, souvent déconnectée de la réalité statistique et qui date de bien avant le Covid, alors même qu'il n'y avait pas d'inflation."

Le pouvoir d'achat a-t-il mis à mal en France ces dernières années? Ce n'est pas flagrant selon l'Insee. Depuis 2017, le revenu disponible des ménages en intégrant les aides du gouvernement et la redistribution n'a reculé qu'une seule fois, c'était en 2022 avec une baisse de 1,3%. Cette année-là, la forte hausse des prix de l'énergie consécutive à la guerre en Ukraine avait effectivement plombé les revenus des Français.

Pour autant, cette année reste une exception. Même en 2020, année marquée par les confinements et le chômage partiel, le revenu disponible avait été maintenu (+0,4%) grâce aux amortisseurs sociaux.

Les Français mieux lotis

Au final, entre les deux scrutins européens, soit entre 2019 et fin 2023, le pouvoir d'achat en France a augmenté. Les revenus primaires (salaires + revenus du capital) majorés des prestations sociales et diminués des cotisation et impôts a augmenté de 5,7% au cours de ces quatre années. Une période marquée par d'importantes fluctuations avec des baisses marquées au premier semestre 2020 ainsi qu'au début de l'année 2022. Mais dans l'ensemble, le consommateur français a davantage été protégé que ses homologues européens.

Le consommateur allemand a vu son pouvoir d'achat progresser de seulement 1,4% depuis 2019 et l'Italien a même subi un recul de 1,5%. Parmi les grands pays de l'UE, seuls les Espagnols ont été mieux lotis avec un gain de 6,7% en quatre ans.

Cette évolution positive du pouvoir d'achat en France s'explique en partie par une pression fiscale moins forte pour certaines catégories de revenus avec la suppression de la taxe d'habitation et de la redevance audiovisuelle ou encore la revalorisation du barême de l'impôt sur le revenu pour tenir compte de l'évolution des salaires dans cette période d'inflation.

Mais aussi par une reprise d'activité plus importante durant ces cinq dernières années. Le taux d'emploi (part des 15-64 ans ayant un travail) est ainsi passé de 65,5% en 2019 à 68,4% à fin 2023 (niveau le plus élevé depuis 1975). Les revenus du travail étant plus élevés que les allocations chômage, cela s'est mécaniquement traduit par une hausse globale de revenus sur la période.

Les amortisseurs sociaux mis en place durant la période d'inflation et plus importants que chez la plupart de nos voisins y ont aussi contribué. Entre les boucliers tarifaires sur le gaz et sur l'électricité, les remises sur le carburant de 10 à 30 centimes ou encore les chèques carburant, le "quoi qu'il en coûte" de l'inflation aura généré quelque 100 milliards d'euros de dépenses publiques entre 2021 et 2023, selon les calculs de Bercy.

Un taux d'épargne au plus haut

Enfin, les multiples hausses du Smic -qui est indéxé sur la hausse des prix- ont aussi permis aux bas salaires de passer le choc inflationniste. Entre 2019 et le 1er janvier 2024, le salaire minimum a été revalorisé de plus de 16% quand l'inflation elle atteignait 15% sur la période.

Si le pouvoir d'achat théorique s'est donc maintenu sur la période, la consommation a toutefois été en berne. Cela s'est donc traduit par un niveau d'épargne particulièrement élevé dans le pays qui dépasse largement son niveau d'avant-Covid. Après avoir grimpé à près de 21% du revenu disponible durant la crise sanitaire lorsque de nombreux commerces étaient fermés, le taux d'épargne moyen des Français s'est stabilisé à 17,5% en 2023 alors qu'il tournait aux alentours de 14,5% avant le Covid.

La perte de pouvoir d'achat ressenti par les Français ne serait donc qu'un sentiment? Peut-être pas pour tous. Si le revenu disponible a bien augmenté sur la période, c'est essentiellement du aux revenus du patrimoine (placements, épargnes...). Les salaires réels n'ont eux pas encore rattrapé l'inflation (hormis pour ceux payés au Smic). Ainsi entre 2019 et 2023, la perte de pouvoir d'achat sur les seuls salaires est de 2,6% selon l'OFCE.

Si les Français s'en sortent une fois de plus mieux que leurs voisins européens (-4,6% en moyenne dans la zone euro), cette évolution négative s'est traduite par un écrasement des bas salaires au niveau du Smic, contribuant au sentiment de déclassement d'une partie de l'électorat.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco