Disparition de Lina: trois mois après, un groupe de volontaires continue de rechercher l'adolescente
Victoire et Stéphanie* n'ont jamais arrêté les recherches. Depuis la battue citoyenne du 26 septembre, qui avait rassemblé près de 380 personnes, ce couple d'amies (accompagné habituellement de Rachelle*) sillonne les sentiers des bois aux alentours de Plaine.
"On est maman aussi"
Depuis quelques semaines, leurs recherches se concentrent dans la forêt de Saint-Blaise-la-Roche, la commune du Bas-Rhin où Lina devait prendre son train en direction de Strasbourg, avant de disparaître.
"On sent qu'elle n'est pas loin. Elle est dans le coin, faut qu'on la trouve", lancent-elles au micro de BFM Alsace.
Même trois mois après la disparition, Victoire, mère de famille qui approche de la soixantaine, ne perd pas espoir. Pourtant elle ne connaît personnellement ni Lina ni sa famille. Lorsqu'on les questionne elle et son amie sur leur motivation, toutes deux répondent d'une même voix: "On est maman aussi, si notre enfant venait à disparaître, on aimerait que quelqu'un le cherche."
Équipée d'un pantalon treillis, de bottes de pluie et d'un sweat à capuche gris suppléé par une écharpe, Victoire enchaîne les cigarettes tout en grattant le moindre amas de bois qu'elle aperçoit, à l’aide de son bâton de marche. Stéphanie est une ancienne militaire réserviste. Contre la pluie glaciale de ce début de décembre, elle s'est vêtue d'un K-way rose, enfilé par-dessus un autre K-way vert.
Toutes les deux se sont rencontrées sur un rond-point de Schirmeck en 2018 lorsque le mouvement des gilets jaunes avait gagné la région. Elles n'auraient jamais songé que leur camaraderie naissante les entraînerait au milieu d'un bois, à la recherche d'une adolescente dont la disparition interroge la France entière.
Recherche d'"indices"
À distance, les deux femmes sont assistées par un troisième protagoniste. La personne, connectée par webcam sur une messagerie en ligne, se présente comme une médium. Déjà, dans l'affaire de la disparition d'Émile dans les Alpes-de-Haute-Provence, ces mêmes personnes ont tenté de retrouver une trace du jeune garçon, interférant alors avec l'enquête menée par les gendarmes.
Au fur et à mesure des fouilles, cette médium indique des pistes à suivre, des "indices" à chercher. Un papier, un outil et surtout une cabane. Dans cette zone fréquentée par les chasseurs, les équivalents ne manquent pas.
"Je ne croyais pas à la médiumnité avant mais elle ses prédictions tombent toujours juste", justifie Stéphanie alors qu'elle vient de trouver un emballage de biscuit "prédit" comme un papier par la médium au bout du fil. Parfois, leur guide vise à côté. Le bidon qui sert d'appât à sangliers qu'elle pressentait rempli, s’avère finalement vide tandis qu'une cabane aperçue au loin ne se trouve être qu'une simple barrière.
"On a déjà bossé avec d'autres médiums, explique Victoire. Un d'entre eux nous a baladé pendant trois semaines, à nous raconter des salades." Que l'on croit au don de clairvoyance ou non "rien n'est à jeter" se convainc Stéphanie. Les indications de la médium n'ont jusqu'à présent pas permis de trouver la moindre trace de l'adolescente mais les fouilles des deux amies, elles, sont bien concrètes.
Ce jour-là, elles ont ratissé la forêt pendant plus de six heures: "Il y a des jours où on veut baisser les bras mais on ne le fera pas", expire Victoire, essoufflée par l'effort de ce bois vallonné.
Garder l'espoir
L’espoir, elles le puisent dans d’autres affaires qui ont marqué la région. "Quand on voit le cas de Sophie Le Tan, elle a été retrouvée à des kilomètres de chez elle, par une promeneuse. Donc on ne sait jamais", raconte Stéphanie.
La comparaison s’arrête là. Elles comptent bien retrouver la jeune fille en vie. Leurs recherches ne vont pas à rebours de l’enquête de gendarmerie, Stéphanie voit ça comme un complément: "Les gendarmes ne font pas ça. Ils vérifient les données téléphoniques, interrogent des gens, mais on ne les a jamais croisés durant nos recherches."
Victoire est plus sceptique: "Qu’au bout de deux mois et demi d’enquête il n’y ait pas un mec en garde à vue, j’ai du mal."
La presque sexagénaire qui s’est installée dans la même commune que Lina et sa mère depuis un an et demi -bien qu’elle ait toujours vécu dans le coin- ne supporte pas de rester dans l’ignorance de l’enquête: "C’est mon paradis ici mais le paradis est un peu écorché."
Les deux femmes finissent par trouver un repère de chasseurs, elles en concluent qu’il s’agit de la fameuse cabane sur la piste de laquelle la médium les avait mises. L’endroit se prête volontiers à un scénario macabre. Un chalet rustique perdu dans les bois, aux carreaux sales et poussiéreux qui laissent à peine entrevoir l’intérieur des murs. Et surtout un atelier de dépeçage où trônent encore des peaux de gibier entassées dans un bac à poubelle.
"Que cette maman retrouve sa fille"
Alors que Victoire et Stéphanie inspectent soigneusement l’extérieur du site, la médium leur suggère de fouiller en dessous des restes de bestiaux. Elle a un pressentiment. Stéphanie a beau être une ancienne volontaire d’artillerie, la mère de famille n’en mène pas large. Elle enfile des gants chirurgicaux -qu’elle se remercie encore d’avoir apportés- tout en observant avec dégoût l’objet de sa fouille. Elle retient sa respiration et attrape du bout des doigts la première peau de chevreuil qui se présentait à elle. "Fausse alerte" prévient la femme qui observe la scène depuis la caméra du téléphone de Victoire.
Cette malheureuse aventure signe la fin des recherches pour ce jour. Il est 16 heures passées, la nuit va bientôt tomber. Le temps est venu de regagner leur maison dans l’anonymat que les deux compères souhaitent à tout prix conserver. Elles ne souhaitent "ni la gloire, ni la lumière des caméras".
"Je veux juste que cette maman retrouve sa fille", conclut Stéphanie. L'enquête, confiée à deux juges d'instruction et à la section de recherche de la gendarmerie de Strasbourg, se poursuit.
*Les prénoms ont été modifiés.