"Le Squeezie des gendarmes": comment la Gendarmerie nationale cartonne sur Tiktok
Lorsqu’on entre dans l’imposant bâtiment labyrinthique de la Gendarmerie nationale à Issy-les-Moulineaux, le ton est à la sévérité. On se présente à un militaire de l’accueil, on présente nos papiers, et très vite, c’est le Capitaine Mathieu Leone Aiguier qui nous prend en charge et qui détend l’atmosphère.
Après une rapide visite des lieux - sans se perdre -, photo de l’équipe en prime, cet ancien homme de terrain qui a fait ses armes à La Réunion nous présente le studio d’où sortent la plupart des vidéos que l’on peut retrouver sur les réseaux sociaux de la Gendarmerie nationale, Tiktok et Instagram en tête.
Pour Tech&Co, le chef de la section des médias sociaux au sein du SIRPA Gendarmerie nous raconte comment l'institution militaire s’est mise à ces nouveaux moyens de communication, et nous parle aussi de sa "fierté" de pouvoir montrer le quotidien de ses "camarades".
Jouant sur les "trends", des modes en cours sur les plateformes, avec de l'humour, de l'auto-dérision, tout en parlant parfois sérieusement de l'action de ce corps militaire et en postant des informations officielles, sans oublier les réponses à des questions que l'on se pose... Les sujets sont variés et témoignent d'une large connaissance des réseaux sociaux d'une équipe plus jeune qu'on ne le pense.
"En fait, tu n’es plus gendarme"
Lorsqu’on commence l’entretien, on fait face à un militaire de carrière qui n’en a pas l’air. Passés les clichés sur la rigueur du secteur, le Capitaine Mathieu Leone Aiguier est un "monsieur tout le monde" qui adore les réseaux sociaux: "Comparé aux gendarmes de terrain, la tension est moindre," confie-t-il à Tech&Co. "On est passionné par ce que l’on fait, c’est une chance énorme de pouvoir communiquer pour une institution comme la gendarmerie."
Réponses aux questions des curieux, réalisation de vidéos avec les membres des plus de 300 métiers qui composent la Gendarmerie, mais aussi lives et reportages sur les théâtres d'opérations comme Mayotte ou la Nouvelle Calédonie… Le job de "Community Manager" pour la Gendarmerie n’est clairement pas comme les autres, et cette envie est née d’une véritable passion.
"Mes proches qui me connaissent bien savent que j’adore l’action, j’adore produire de la sécurité et mettre en place de la prévention, et j’ai toujours eu de la passion pour l’image et la vidéo."
Lorsqu’on lui demande s’il se sent toujours gendarme, il répond avec humour et sans détour: "J’ai eu ce type de réflexion ‘En fait, tu n’es plus gendarme’ et ça, c’est un coup de poignard, et c’est vrai, je ne suis plus, pour le moment, un gendarme de terrain, mais pouvoir valoriser le travail des camarades à travers des contenus qualitatifs, c’est néanmoins très satisfaisant."
Autour de lui, une équipe chevronnée et jeune. Pour ce Capitaine quarantenaire, l’adaptation n’a pas été facile: "Je me suis auto-formé et j’ai également bénéficié de formations externes, et surtout de l’expérience de mes camarades de section," explique-t-il. "Ca a été compliqué pour moi de me mettre en mode ‘communicant’, dans un univers où l’on fait davantage du management que du commandement."
Une hiérarchie bien présente
Institution militaire oblige, avant chaque publication, le service des réseaux sociaux doit les faire valider face à une hiérarchie pas forcément aux faits de tous les codes: "Sur un réseau social comme X [anciennement Twitter, NDLR], où il y a beaucoup de haters et de politiques, on a un schéma de validation. La section va produire une publication, je vais la valider, puis la faire valider par le chef du bureau." Objectif, éviter les "bad-buzz" qui peuvent se cacher dans les détails.
"Ensuite, on peut les poster", confie Mathieu Leone Aiguier, amusé par les réactions de ses chefs sur certaines vidéos disponibles sur Tiktok et Instagram. "Il faut parfois plus d’explications de notre part, mais on a l’habitude, on essaye de répondre à leurs attentes et aux besoins de la maison Gendarmerie."
Mais cela passe aussi par de la formation, notamment en région. Le Capitaine évoque ainsi une "évangélisation": "On vient expliquer notre action, pourquoi on met des contenus qui ne semblent pas avoir de rapport avec la gendarmerie, et ça se passe très bien."
Même chose quand il s’agit de parler de "l’empreinte numérique" d’un gendarme qui fait déjà l’objet de notes internes: "Ce qu’il doit être, ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire." En cas de problème, contact est pris avec un correspondant au niveau local: "On ne peut pas tout contrôler, mais il faut savoir que lorsqu’on écrit quelque chose de problématique en étant gendarme, ce sera toujours une circonstance aggravante."
Le "Squeezie de la gendarmerie" à l’épreuve des retours
Lorsque les équipes du Capitaine Mathieu Leone Aiguier sont amenées à se déplacer sur le terrain, comme à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie, elle a pour objectif de "rendre compte" de l’activité des gendarmes sur place, mais pas que: "On le fait aussi pour les gendarmes qui nous suivent sur les réseaux sociaux."
En opération, le personnel dédié aux réseaux sociaux présent aux côtés des gendarmes de terrain est opérationnel et sont d’ailleurs armés: "Mais ils sont surtout là pour trouver le bon contenu pour mettre en avant le gendarme," explique-t-il. "On valorise son action, tout en expliquant ce qui s’y passe." Comme les autres, l’équipe à Nouméa n’a ainsi pas dormi pendant 48h.
Sur les réseaux sociaux, les retours sont nombreux. De quoi imaginer créer une sorte de vocation auprès des jeunes? "Difficile de répondre car il n’y a pas de questionnaire pour savoir si les recrues ont été inspirées par un de nos comptes, mais on veut bien le croire," explique le Capitaine. "Il y a tellement de métiers dans la gendarmerie qui sont peu connus, on veut les montrer."
Il prend ainsi l’exemple de l’un des membres de son équipe, Théo, très présent dans les vidéos: "Quand il va en école de gendarmerie, c’est un peu la star, ils veulent tous faire des photos avec lui, c’est un peu le Squeezie des gendarmes," s’amuse-t-il. "Il est forcément un peu gêné car il dit qu’il n’est pas là pour ça, mais c’est aussi très satisfaisant car ça veut dire que nos contenus sont vus et provoquent quelque chose."
A l’issue des quarante minutes dans ce petit studio qui reprend les codes de celui d’un streamer de Twitch, le Capitaine Mathieu Leone Aiguier explique que si la gendarmerie bénéficie d’une belle image - par rapport à la police ou à d’autres services de l’état - l’objectif final est de "convaincre ceux qui ont des doutes ou qui n’apprécient pas la gendarmerie": "On est au service de la population, mais on est aussi là pour rappeler les règles."
Dans les prochains mois, l’objectif affiché est de proposer des lives avec des gendarmes plus spécialisés "à la demande de ceux qui nous regardent", précise ce fier gendarme qui reprendra le chemin du terrain dans deux ans.