Covid, Netflix, Disney+... Le cinéma en France est-il vraiment en danger?
Le cinéma se remettra-t-il du Covid? Après avoir traversé la pire crise de son histoire, le secteur se retrouve aujourd'hui dans une situation paradoxale, alors que s'ouvre le Festival de Cannes. D'abord, parce que malgré des mois de fermeture administrative, de réouvertures avec des règles sanitaires strictes, de passe sanitaire, de fréquentation en berne, les exploitants n'ont pour ainsi dire déploré aucune faillite.
Le "quoi qu'il en coûte" ainsi que des mesures d'aide sectorielles mises en oeuvre par le CNC (Centre national du cinéma) d'un montant total de 300 millions d'euros ont permis au secteur de ne pas s'effondrer. Et ce sont les exploitants qui ont bénéficié du gros des aides avec 210 millions sur les 300 du total.
Des exploitants qui ont même cru que la page était définitivement tournée en fin d'année dernière. Avec 20,4 millions d'entrées en salles en décembre, le secteur retrouvait des niveaux comparables à l'avant-crise (22,7 millions en décembre 2019). Une fréquentation notamment tirée par l'immense succès de Spider-Man: No Way Home de Marvel Studios qui a fait plus de 7,3 millions d'entrées à lui tout seul.
Top Gun et Avatar à la rescousse
Problème: si 2021 s'est terminé dans l'euphorie, 2022 semble à nouveau marquer le pas. Mois après mois, la fréquentation déçoit les exploitants. Entre janvier et avril, les cinémas de l'Hexagone ont enregistré 50,7 millions d'entrées selon le CNC contre 77 millions sur la même période en 2019 et même près de 80 millions en 2018. Une baisse d'environ 35% qui commence à inquiéter.
Et si les spectateurs avaient pris de nouvelles habitudes et ne revenaient jamais? Une crainte que balaye Alain Le Diberder, spécialiste du secteur.
"La crise des deux dernières années, c'était un événement considérable, jamais vu en 120 ans de cinéma, rappelle-t-il. Les gens ont aujourd'hui une vision catastrophiste de la situation mais il faut la tempérer. On dit qu'une crise met autant de temps à se résorber qu'elle n'a duré. Ca aurait été miraculeux qu'elle se résorbe tout de suite."
Car la crise du Covid n'a pas affecté que les salles, mais aussi la production de films. Tournages suspendus, sorties reportées, projets gelés... Le Covid a réduit l'offre de films et notamment américains dont le poids dans la fréquentation a atteint un plancher de 27,3% sur les quatre premiers mois de l'année. Du jamais vu depuis des décennies. Moins de films, donc moins d'entrées.
Mais les prochains mois, le cinéma américain va revenir en force. Déjà en mai, le film Dr Strange 2 de Marvel a cartonné au box office avec plus de 1,4 million d'entrées la première semaine. En fin de mois, c'est le très attendu Top Gun: Maverick avec Tom Cruise qui devrait s'envoler au box office. La suite du blockbuster des années 80 est le plus symptomatique des "films Covid". Initialement prévue en 2019, la sortie a été reportée quatre fois par son producteur la Paramount.
Mais c'est surtout la sortie d'Avatar 2 en décembre qui donne de l'espoir au secteur. La suite du plus grand succès de l'histoire du cinéma (2,85 milliards de dollars de recette, 14,8 millions d'entrées en France) est, elle, attendue depuis 2015! Le retour de la saga de science-fiction de James Cameron sera de plus précédée de la ressortie du premier volet le 23 septembre prochain.
Mais ces quelques très gros blockbusters suffiront-ils à retrouver les fréquentations passées? Probablement pas. Car la crainte ce n'est désormais plus le Covid, mais les plateformes de streaming. Netflix, Amazon Prime et Disney+ accaparent une part croissante de films qui seraient auparavant sortis dans le circuit des exploitants. C'est notamment Disney qui est pointé du doigt.
Le géant du divertissement est à la fois un studio fournisseur de films en salles mais aussi une plateforme de SVOD depuis le lancement de Disney+. Si l'américain a rassuré les exploitants en sortant certaines de ces dernières grosses productions comme son film d'animation Encanto, ses Marvel comme Les Eternels ou encore les films de réalisateurs stars (The Last Duel de Ridley Scott et West Side Story de Steven Spielberg), son catalogue de films en salle a tout de même diminué.
Le secteur a connu pire
"Disney c'était 39% du box office en France en 2019, rappelle Alain Le Diberder. S'il réserve un quart de son line-up à Disney+, sa part tombe à 30%. Et c'est ce qu'on observe. Au global, la diminution de l'offre de l'ensemble des studios fait perdre 25% de fréquentation en salle. De 200 millions d'entrées en 2019, on pourrait de manière structurelle tomber à 150 millions."
Un phénomène de chute de fréquentation auquel le secteur avait été confronté dans les années 1980. En 10 ans, la fréquentation des salles françaises s'était effondrée de 42% pour atteindre un plancher de 115 millions en 1992. L'équipement des foyers en téléviseurs couleurs, la généralisation des magnétoscopes avaient détourné les Français des salles obscures. D'autant que le prix des places n'avait cessé d'enfler sur la période pour atteindre un record de 7,50 euros en 1992 en tenant compte de l'inflation (7,04 euros aujourd'hui selon le CNC).
Avant un rebond spectaculaire dans la décennie suivante. Le numérique qui a permis de réduire les coûts de production, l'arrivée des grandes salles multiplexes en périphérie ainsi que le lancement des cartes d'abonnement au tournant des années 2000 avaient à nouveau attiré les Français dans les salles obscures.
Des innovations qui se sont aujourd'hui largement généralisées.
"Les salles françaises sont après les chinoises les plus modernes et confortables du monde, témoine Alain Le Diberder. Il y a quelques innovations comme Pathé qui fait du 4DX, des réseaux comme MK2 qui propose des boutiques, il y aura peut-être des choses avec la réalité virtuelle mais il n'y a plus de grandes révolutions à attendre."
La concurrence de loisirs comme le jeu vidéo et les plateformes de streaming pourraient ne jamais être surmontée par le cinéma. C'est même le scénario privilégié aujourd'hui par les observateurs.
400 millions d'euros de moins dans les caisses
Mais un secteur qui fait 150-160 millions d'entrées peut-il être viable quand il en réalisait 213 millions à son pic en 2019 ? Avec un prix moyen de 7 euros la place, cela représente un manque à gagner d'environ 400 millions d'euros.
"Il n'y a pas de menace d'écroulement du réseau, estime Alain Le Diberder. Les gros réseaux comme Pathé ou CGR sont très rentables, ils réalisent 90% de leurs bénéfices avec la confiserie par exemple. Et les circuits arts et essais sont fragiles mais très aidés et ont des coûts moins importants."
Avec la numérisation des salles de cinéma, les coûts d'exploitation ont largement diminué ces 20 dernières années. Plus de projectionnistes, moins de caisses avec l'achat de places en ligne... Les exploitants peuvent se permettre de faire un peu moins d'entrées.
Le risque en revanche concerne la production de films. Moins d'entrées, c'est moins d'argents pour les studios et les financeurs du cinéma au sens large.
"Le cinéma d'auteur par exemple a besoin de grosses comédies qui tachent et des superhéros pour se financer, rappelle Alain Le Diberder. Il faut savoir que deux films qui font 2 millions d'entrées chacun permettent en réalité de faire 6 millions d'entrées au total. Car les spectateurs voient des bandes-annonces et fréquentent davantage les salles après. Donc moins de films qui sortent c'est moins d'entrées, moins de recettes pour les producteurs et donc moins de films..."
C'est ce cercle vicieux que redoute la profession.
Mais le président du CNC, Dominique Boutonnat, se veut rassurant. Dans une interview au Monde, le financeur du cinéma français rappelle que le secteur en a vu d'autres et que le pays a déjà pris ses dispositions pour faire payer les plateformes comme naguère avec Canal+.
"Il n’y a pas de fatalité, estime-t-il. Historiquement, des réponses ont été trouvées à chaque crise. Après-guerre, le financement du cinéma français a été assuré grâce à la réouverture de nos salles aux films américains, alimentant ainsi le fonds de soutien du CNC créé pour l’occasion. A la fin des années 1980, au plus bas de la fréquentation, les télévisions, et Canal+ en premier lieu, ont été mises à contribution par des obligations d’investissement, pour renouveler l’offre des films et relancer la fréquentation. Et la modernisation des salles au début des années 2000, avec l’aide du CNC, a donné un élan nouveau. Aujourd’hui, les plates-formes apportent un financement regardé avec intérêt par bien des pays."
Vu par certains comme des fossoyeurs, les Netflix, Disney+ ou autres Amazon Prime seront-ils les sauveurs du cinéma en France?