Élections européennes
La tête de liste LFI aux élections européennes, Manon Aubry, entourée notamment de Rima Hassan, Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot, lors d'un meeting à Villepinte (Seine-Saint-Denis), le 16 mars 2024.

Bertrand GUAY / AFP

Aubry progresse mais reste derrière Glucksmann: LFI a-t-elle réussi son "pari électoral"?

Devancés par les écologistes lors des élections européennes de 2019, les insoumis terminent cinq ans plus tard derrière les socialistes, mais améliorent leur score.

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Jusqu'au bout, La France insoumise a cru que la donne pourrait s'inverser. Que l'écart avec le PS, à défaut de se résorber totalement, pourrait se réduire. Qu'un score à deux chiffres était encore atteignable. "C'était pas loin", disait déjà Jean-Luc Mélenchon au sortir de la présidentielle 2022.

Là aussi: les insoumis finissent cette aventure européenne à 9,4%, selon notre estimation Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune. Comme en 2019 - mais dans une moindre mesure - LFI ne réussit pas à concrétiser les bons résultats obtenus au préalable lors de l'élection présidentielle. Mais bonne élève au Parlement de Strasbourg, Manon Aubry améliore de plusieurs points son score, cinq ans après sa première candidature terminée à 6,31%.

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Manon Aubry, tête de liste LFI aux élections européennes, et Jean-Luc Mélenchon, lors d'un meeting à Lyon, le 6 juin 2024.
Manon Aubry, tête de liste LFI aux élections européennes, et Jean-Luc Mélenchon, lors d'un meeting à Lyon, le 6 juin 2024. © OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

"L'après Macron a commencé"

Le Parti socialiste, représenté par Raphaël Glucksmann, est malgré tout devant avec 14,2% des voix. Soit la dernière marche du podium, la seconde revenant à la majorité de Valérie Hayer et la première à l'extrême droite de Jordan Bardella (31,7%), situé largement devant ses adversaires.

Conséquence directe: LFI devra composer avec les débats sur un changement de rapport de force à gauche, avec la perspective des législatives anticipées des dimanches 30 juin et 7 juillet.

Pour réussir à faire mentir les sondages, les insoumis misaient sur "deux paris électoraux", comme le résumait une parlementaire LFI à BFMTV: "La jeunesse et les quartiers populaires." Deux électorats difficiles à mobiliser. "La campagne ça se cristallise un peu dans la dernière ligne droite", voulait cependant croire un cadre LFI deux semaines avant le scrutin. "Faire voter les abstentionnistes on mise tout la dessus. C’est le pari. Il peut y avoir un surplus de mobilisation des gens."

Dès le début de la campagne, Jean-Luc Mélenchon donne le ton pour rameuter les troupes, comparant ce scrutin au "premier tour de la présidentielle de 2027". Le 16 octobre, à l'occasion du grand meeting de lancement de campagne, à Villepinte (Seine-Saint-Denis), le leader insoumis - avant-dernier sur la liste de Manon Aubry - n'hésite pas à nationaliser les enjeux.

"Les élections européennes de 2024 préparent la présidentielle de 2027, comme vous préparez votre soupe pour la manger (..) L’après Macron a commencé."

Rima Hassan omniprésente

La militante franco-palestinienne et juriste Rima Hassan prend la parole pour la première fois lors de cet événement. En 7e position sur la liste insoumise, elle restera en haut de l'affiche, permettant au parti de centrer son discours sur Gaza, quitte à alimenter des critiques sur une campagne éclipsant celle de Manon Aubry, plus axée sur les questions sociales.

La militante franco-palestinienne Rima Hassan, 7e de la liste LFI aux élections européennes, aux côté du député insoumis Sébastien Delogu, lors d'une manifestation le 29 mai 2024.
La militante franco-palestinienne Rima Hassan, 7e de la liste LFI aux élections européennes, aux côté du député insoumis Sébastien Delogu, lors d'une manifestation le 29 mai 2024. © Zakaria ABDELKAFI / AFP

"C'est n'importe quoi", répondait le député LFI Antoine Léaument quelques jours avant le scrutin. "Manon Aubry a fait tous les grands plateaux de ce pays, tous les débats, et de très gros meetings". Et ce proche de Jean-Luc Mélenchon de souligner que "chacun" sur la liste LFI "porte la campagne dans le secteur où il excelle".

"On n’est pas responsable de l’agenda médiatique", balaie-t-on du côté insoumis. "Rima a cette légitimité de s’exprimer sur le sujet au regard de l'actualité." "La campagne a été marquée par la candidature de Rima", ajoute une candidate sur la liste européenne.

"Les gens nous parlent de Rima lors des portes à portes, des meetings. Mais pas au détriment de Manon."

Pour autant, les insoumis ont surtout fait parler d'eux pour leur implication sur la situation à Gaza, dénonçant à de multiples reprises un "génocide" après la riposte d'Israël aux attaques terroriste du Hamas.

Non sans que nombreuses polémiques autour de Jean-Luc Mélenchon n'émaillent cette séquence. Que ce soit au sujet de son parallèlle entre le président de l'université de Lille - qui avait interdit sa conférence sur la Palestine - et le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann, ou lors de ses propos sur un antisémitisme "résiduel" en France.

De quoi alimenter encore un peu plus les critiques de certains de ses adversaires, Raphaël Glucksmann se positionnant en "rupture totale" avec les insoumis. "Le combat pour Gaza aurait dû être un combat majoritaire, ils l’ont transformé en combat minoritaire", déplore un élu PS. "Chercher l’exclusivité du combat c’est l’instrumentaliser."

"La liste a fait face à une offensive sans précédent de la part du camp de Glucksmann et de Macron", rétorque un parlementaire LFI. "Une campagne de diabolisation contre nous. Ça n’a pas permis d’avoir un débat sur l’Europe. Mais beaucoup plus liée à des polémiques nationales."

Rima Hassan et Manon Aubry, candidates sur la liste LFI aux européennes, aux côté de Jean-Luc Mélenchon lors d'une manifestation à Lille (Nord), le 18 avril 2024.
Rima Hassan et Manon Aubry, candidates sur la liste LFI aux européennes, aux côté de Jean-Luc Mélenchon lors d'une manifestation à Lille (Nord), le 18 avril 2024. © FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Accusations d'antisémitisme

Dès le 7 octobre, LFI avait suscité l'indignation du reste de la classe politique en refusant de qualifier le Hamas d'organisation terroriste après ses attaques en Israël, qui ont entraîné la mort de quelque 1.200 personnes, en majorité des civils. Avant que l'État hébreu ne riposte, avec une offensive qui a causé la mort de plus de 36.000 Palestiniens, selon le décompte du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas.

Cette position, LFI l'a un peu traînée comme "le sparadras qui colle au bout du doigt", analyse Antoine Bristielle, directeur de l'Observatoire de l'opinion à la Fondation Jean Jaurès. "Il y a cette image dans l'opinion publique d'un parti qui a du mal à condamner le Hamas." Et des accusations d'antisémitisme auxquelles les insoumis ont dû régulièrement faire face.

"Les charges sur l’antisemitisme, c’est dur", réagit un parlementaire LFI. "Personnellement elle a été terrible cette campagne de ce point de vue-là. Surtout quand je dois en parler avec mes enfants et mes amis et dire je ne suis pas antisémite. On a vécu une période politique difficile."

"Ça m’a renforcé et endurci", ajoute un autre, candidat aux européennes. "Le combat sera encore plus dur. On tient bon aujourd’hui et on tiendra bon demain."

Dans la dernière ligne droite des européennes, les insoumis ont néanmoins surfé sur un regain de mobilisation de la cause palestinienne en France face aux bombardements d'Israël à Rafah. Fidèles à la stratégie du "bruit et la fureur", ils ont fait un coup d'éclat à l'Assemblée nationale, lorsque le député Sébastien Delogu a brandi un drapeau palestinien à l'Assemblée nationale. Une initiative reprise par Rachel Keke quelques jours plus tard, malgré la sanction reçue par son collègue.

"Nous avons tendu la main à tout le monde"

Pour rattraper leur retard, les élus LFI n'ont pas hésité à cibler Raphaël Glucksmann à plusieurs reprises, en le dépeignant comme le représentant de la "vieille gauche" à la sauce François Hollande. Les tensions avec la tête de liste PS-Place Publique se sont mulitipliées. Notamment lorsque ce dernier a mis en cause LFI après avoir été empêché de rejoindre un cortège du 1er-Mai - les insoumis contestent leur implication.

Les têtes de liste PS-Place publique et LFI aux élections européennes, Raphaël Glucksmann et Manon Aubry, lors d'un débat à Angers (Maine-et-Loire), le 16 avril 2024.
Les têtes de liste PS-Place publique et LFI aux élections européennes, Raphaël Glucksmann et Manon Aubry, lors d'un débat à Angers (Maine-et-Loire), le 16 avril 2024. © DAMIEN MEYER / AFP

Accusés par Raphaël Glucksmann de fragiliser la gauche au détriment de l'extrême droite, les élus LFI rappellent souvent leur proposition initiale de faire une liste d'union. Pour mieux renvoyer la responsabilité aux autres formations.

"Nous avons tendu la main à tout le monde", estimait peu avant le scrutin le député LFI Antoine Léaument.

"Ils nous ont dit 'on va faire sans vous parce qu’on est meilleurs'", poursuivait-il. "Nous avons proposé la tête de liste aux Verts, ils nous ont dit 'non c’est un piège'. C’est complètement dommage. Nous, notre objectif c'était d’être à un niveau pour être à jeu égal et battre Jordan Bardella."

Reste que LFI devra également composer avec ces débats. Que vont devenir ses "frondeurs", François Ruffin, Clémentine Autain, Raquel Garrido ou Alexis Corbière, qualifiés ainsi depuis qu'ils ont été écartés de la direction du mouvement? La Nupes est-elle définitivement morte ou peut-être elle renaître après l'annonce de la dissolution?

François Ruffin a d'ores et déjà appelé "insoumis, communistes, socialistes et écologistes" à constituer un "front populaire" en vue des législatives. Le succès de Raphaël Glucksmann couplé à la remontée dans les urnes de Manon Aubry risque de compliquer un peu plus l'équation pour une nouvelle alliance électorale à gauche.

Baptiste Farge et Anthony Lebbos